ALEXANDRE-HIPPOLYTE-XAVIER MONNET
10e SUPÉRIEUR DE LA CONGRÉGATION
DU SAINT-ESPRIT ET DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION


Ses premières années. Apostolat à l'ile Bourbon

Alexandre - Hippolyte - Xavier MONET naquit le 4 janvier 1812 à Mouchin, près de Lille, département, du Nord, diocèse de Cambrai. Après avoir reçu de sa bonne mère les premières leçons de lecture, il fut mis dans la pension de Rumes, située sur le territoire belge, mais peu éloignée de Mouchin et y fit sa première communion.. A quatorze ans il rentra dans sa famille, à laquelle il sut se rendre utile, sans rien perdre de l'intégrité, de sa foi et de sa piété. La lecture des Annales de la Propagalion de la Foi devint l'occasion dont la divine Providence se servit pour lui révéler sa vocation. Admis en 1829 au petit Séminaire de Cambrai, puis quatre on cinq ans après au grand Séminaire, il fut ordonné, prêtre en 1837 par Mgr Belmas. L'abbé Monnet eût voulu suivre immédiatement son attrait pour les Missions; mais son évêque crut ne pas devoir y consentir et le nomma coadjuteur du curé de Donipierre, alors très malade; puis, lorsque celui-ci eut recouvré la santé, vicaire à Saint-Gérv, au grand regret de Domipierre. Il se mit, avec ardeur au travail sous la sage direction du curé-doyen, M. le chanoine Rigault. Il obtint enfin la permission de partir pour les Missions coloniales, et avec son frère Louis, il se rendit au Séminaire du Saint-Esprit.

Frappé des qualités qu'il remarquait en lui, M. Fourdinier lui remit aussitôt des lettres de missionnaire apostolique émanant de la Propagande; c'était au commencement de 1840. Les deux frères s'embarquèrent au Havre sur l’Adolphe, capitaine Morvan, et le 9 juin suivant arrivèrent à Bourbon ou, tandis que, à la Rivière des Pluies, Louis obtenait une place de régisseur sur l'habitation de la famille Desbassayns alors à la tête de 300 Noirs, auxquels tous les jours il faisait la prière du matin et du soir et le catéchisme deux fois par semaine, l'abbé était nomme vicaire de Saint-Denis. Dans les premiers temps, il s'occupait des noirs et des blancs; il avait créé parmi ces derniers une association à l'instar de celle de la Société, de Saint-Vincent, de Paul. Le nombre de ses catéchumènes et de ses néophytes augmentant de jour en jour, il se vit obligé d'établir l’usage de dire pour eux une messe à 4 heures du matin. Avant le Saint-Sacrifice, on récitait la prière; suivait une petite méditation. Le soir, vers 8 heures, après la récitation de deux dizaines de chapelet, entrecoupées de cantiques, il y avait catéchisme de persévérance, suivi d'un autre cantique, puis une petite instruction, et l'on terminait par la bénédiction du Saint-Sacrement. Le « père des Noirs », comme on appelait M. Monnet, eut la consolation de faire nombre de baptêmes d'adultes, de mariages et de premières communions; il donnait à ces dernières la plus grande solennité.

M. Monnet allait aussi visiter les Noirs des habitations en dehors de la ville. Son zèle le porta même à pousser ses excursions apostoliques jusque sur le territoire de la paroisse, voisine de Sainte-Marie, sans doute, à la prière de M. Desbassayns et avec la permission de l'autorité ecclésiastique; à cette dernière paroisse appartenait, alors la région appelée Rivière des Pluies. Le nombre des Noirs de cette localité montait bien à 3.000. D'une part, la chapelle de l'habitation ne pouvait contenir qu'une dizaine de personnes; d'autre part, l'église Sainte-Marie était presque aussi distante que celle de Saint-Denis; le missionnaire se vit donc obligé de dire la messe et de faire le catéchisme en plein air, à l'ombre d'un tamarinier ou d'un bois-noir. Mais, de mai à novembre, pendant la saison des pluies, il fallait de toute nécessité trouver un abri. Sans ressources, mais plein de foi et de confiance, l'abbé Monnet conçut le projet de bâtir en maçonnerie une grande chapelle. M. Desbassayns donna le terrain. Lui se fit quêteur, et trouva 10.000 francs; le gouvernement local, 15.000 francs sur le fonds de moralisation, et les noirs de Saint-Denis, unis à ceux de la Rivière des Pluies, offrirent ensemble 3.000 frs auxquels il ajouta ses épargnes.

Il fit venir de Nantes une cargaison de chaux; il loua des noirs ouvriers; d'autres lui furent prêtés et, avec ce contingent d'une cinquantaine d'hommes, on s'empressa de creuser les fondations; les murs s'élevèrent rapidement, surmontés de même d'une charpente très haute couverte de bardeaux. Le missionnaire partageait les travaux de ses enfants et les entremêlait de cantiques ou de prières. L'édifice mesure 104 pieds de longueur, 43 de largeur et 26 de hauteur. Six grandes fenêtres cintrées y versent l'air et la lumière sur le pignon se dresse un petit clocheton surmonté d’une croix. M. Monnet avait le dessein d'élever une tour de chaque côté de la façade, et de la faire précéder d'un portique supporté par quatorze colonnes; mais les ressources et le temps lui manquèrent : il ne put même pas plafonner ni daller la chapelle. Seul, le chœur put être carrelé de pierres de liais blancs et noirs.

Néanmoins, au bout de huit mois, M. Monnet commença à y célébrer la sainte Messe et à y enseigner le catéchisme le dimanche. Comme à Saint-Denis, il y fit en grand nombre des baptêmes, des mariages et des premières communions, sans abandonner ni négliger ses chers noirs du chef-lieu. Dans ses lettres à M. Fourdinier, il ne cessait de lui faire, part des consolations que lui donnaient ses néophytes. Le 10 décembre 1840, il lui disait : « Enfin, M. le Supérieur, l'élan est si grand que mes confrères en sont étonnés... J'ai acquis un titre bien noble et bien glorieux : je suis appelé par mes confrères le P. Claver. Utinam ! » Informé du zèle de l'abbé Monnet et des heureux fruits de son apostolat, le Cardinal Fransoni, dans sa lettre du 11 juillet 1843, à M. Fourdinier, s'exprimait en ces termes :

« Le zèle du prêtre Monnet pour l'évangélisation des Noirs de l'île Bourbon me le rend très recommandable. Aussi, j'aurai soin de lui faire parvenir une relique de saint François-Xavier, dès qu'une occasion favorable se présentera. »

De son côté, le Gouvernement lui envoya la croix d'honneur (8 janvier 1845) : « Il m'est agréable, lui écrivait l'amiral de Mackau, d'avoir à vous transmettre ce témoignage de la satisfaction de Sa Majesté pour votre dévouement à l’œuvre de l'enseignement religieux des esclaves. »

A son tour, le Préfet apostolique, Mgr Poncelet, revenu d'Europe le 2 juillet 1843, le nomma curé de Saint-Paul, la seconde paroisse de l'île: et, pour le remplacer auprès de ses chers Noirs de Saint-Denis et de la Rivière des Pluies, il y plaça le P. Levavasseur qui, depuis juin 1842, s'occupait aussi des Noirs à la Rivière Saint-Jean, au Quartier français et à Sainte-Suzanne; celui-ci les confia aux deux Pères venus de France avec le Préfet apostolique, sans cesser pour cela son ministère dans les deux dernières localités.

Le curé de Saint-Paul, l'abbé Monnet, fut obligé de s'occuper principalement des blancs de cette paroisse, assez nombreux; heureusement, le 27 décembre 1844, arrivèrent à Bourbon les quatre premiers Jésuites destinés à Madagascar, et ces missionnaires donnèrent des missions dans les principales paroisses de Bourbon. M. Monnet s'empressa de les appeler à Saint-Paul, où ils opérèrent un très grand bien et où lui-même fit preuve d’un zèle infatigable. Depuis quelque temps déjà, il songeait, à se rendre à Madagascar. « Pour moi, écrivait-il à M. Fourdinier le 20 novembre 1841, je dois aller avec M. Dalmond à Madagascar, y tenter une conquête pour l'Église, ou y mourir martyr si je n'en suis pas trop indigne. »

Essai de mission à Madagascar. - Voyage en Europe. Retour à Bourbon.

Ces projets de Missions à Madagascar s'affermirent de l’intimité des rapports de M. Monnet avec les Jésuites. Le 27 janvier 1845, il écrivit à M. Fourdinier (qui venait de mourir le 5 du même mois) : « N'ayant reçu de vous aucune information, ne voyant rien de fixe dans vos projets de Congrégation... je me suis offert aux Pères Jésuites, qui voudront bien me recevoir comme novice ou coadjuteur. Après Pâques, je partirai avec eux pour la Grande-Terre. J'espère, Monsieur le Supérieur, que vous ne trouverez pas mauvais que je n'aie pas attendu que votre Congrégation fût formée pour y entrer; car j'aurais eu le temps de mourir avant qu'elle le fût, si les choses marchaient comme elles vont depuis sept ans. Si vous croyez nécessaire d'y mettre autant de lenteur, soit; Jamais je ne me permettrai de vous en blâmer. Mais pour un Missionnaire qui ne croit pas pouvoir entreprendre une pareille entreprise, sans faire partie d'une Congrégation quelconque, c'est autre chose. Toutefois, je n'ai fait ni vœu ni promesse : je suivrai une Règle; mais je ne m'engagerai pas à la légère. »

Et peu de temps après Pâques, il donna sa démission de curé, pour aller à la Ressource commencer son Noviciat.

Revenu de Mayotte, où il était allé installer MM. Richard et Weber, M. Dalmond se rembarqua, le 5 juin 1845, avec les PP. Cotain, Déniau, M. Monnet, le P. Rémacle et deux Malgaches. Le 17, ils étaient à la baie Saint-Augustin, Côte S.-O. de la Grande-Ile. Accueillis d'abord amicalement, les missionnaires se virent bientôt en butte aux dispositions hostiles des indigènes. La Mission fut alors transférée à Tuléar, trois lieues plus au Nord de cette côte. Le chef de ce village les reçut très bien; on s'y installa et, le jour de la Visitation, M. Monnet y célébra la grand'messe. Les Malgaches étaient dans l'admiration. Hélas ! ces bonnes dispositions firent bientôt place à des sentiments contraires. Des bandes armées cernèrent la Mission, la pillèrent, détruisirent la case et menacèrent de mort les missionnaires. Ceux-ci durent s'éloigner, et, le 23 septembre ils firent voile pour Bourbon.

M. Monnet revint à la Ressource continuer son noviciat. Rappelons ici qu'il avait toujours eu des rapports très intimes avec les Pères du Saint Cœur de Marie; il avait même, paraît-il, manifesté le désir d'entrer dans cette Congrégation Quoiqu'il en soit, dans une lettre du 6 janvier 1846, il disait au Vénérable Père : « Je suis toujours l'ami intime et le frère dévoué de vos Missionnaires depuis mon retour de Madagascar, comme auparavant. J'espère qu'il régnera parmi nous la même intelligence, la même charité et le même dévouement, puisque nous avons le même but et que nous servons le même Maître. - Je suis, depuis sept mois, novice des Pères Jésuites. J'éprouve de grands dégoûts; mais j'espère encore que ce ne sont que des tentations. Priez pour moi, je vous en conjure, j’en ai grand besoin. » Toujours hésitant,, M. Monnet se décida de faire un voyage en France. Il s'embarqua en mars 1846. Arrivé à Paris, il y rencontra Mgr Poncelet, en congé, pour la seconde fois. Ce dernier lui proposa de l'accompagner à Rome : cette proposition était trop agréable pour ne pas être acceptée. Ils furent reçus plusieurs fois à la Propagande, où M. Monnet ne contribua pas peu a faire sortir Mr Poncelet de ses difficultés. Pie IX leur accorda deux longues audiences. L'abbé Monnet consulta-t-il le Sairt-Père sur le parti qu'il avait à prendre au sujet de sa vocation? Nous l'ignorons : mais Pie IX lui dit, en lui frappant doucement sur l'épaule : « Eh bien ! cher fils, il faut, retourner a Bourbon, avec M. Poncelet; vous serez son vice-Préfet--,. Je charge Mgr Brunelli d'en donner avis au Cardinal Préfet qui vous remettra le titre des pouvoirs que je vous confie »

Au sortir de cette audience, M. Monnet alla faire visite au R. P. Roothaan, Général de la Compagnie de Jésus, pour l'assurer de son profond respect et de son invariable attachement et l'informer en même temps de sa nomination de vice-Préfet. Le 28 décembre suivant, le Père Général écrivait au P. Jouen, successeur du P. Colain : « Il (M. Monnet) nous reste cordialement, attaché, et il se propose bien de nous donner des preuves de son affection dans l'exercice de sa charge de vice-Préfet apostolique de Bourbon qui vient de lui être confiée.»

Mais la Providence avait sur lui d'autres desseins : tandis que, de retour en France, Mgr Poncelet gagnait la Lorraine pour voir sa famille, M. Monnet, gagnait la Flandre pour le même motif. Sur sa demande, il était replacé sur les cadres du clergé de Bourbon par le Ministre de la Marine, à raison de ses bons services dans la Colonie et notamment du zèle avec lequel il s'était occupé de l’instruction morale des Noirs. » (21 août 1846). Il se rend à La Neuville et y vit M. Libermann; il y eut un entretien avec M. Truffet, le futur Vicaire apostolique des Deux-Guinées, et le 2 juin 1847, il était reçu membre de la Congrégation du Saint-Esprit.

Le 20 Juin 1847, il s'embarqua au Havre sur le "Calculta", navire de commerce, avec Mgr Poncelet, deux prêtres du Saint-Esprit et, deux Pères de la Congrégation du Saint Cœur de Marie. La traversée fut pleine de dangers, et plusieurs fois ils furent sur le point de périr; mais, protégés par la Très Sainte Vierge, ils purent aborder sains et saufs les côtes de Bourbon, le 12 septembre, fête du Saint Nom de Marie. Dès que la vigie du port eut signalé le "Calculta", une foule immense descendit au « barachois » et, en voyant M. Monnet se mettre en canot pour venir à terre, il y eut une explosion de colère et de cris menaçants : A bas Monnet! Monnet à l’eau ! Monnet à mort ! » Le presbytère où M. Monnet se trouvait caché fut, pendant trois ou quatre jours, comme assiégé par la foule des émeutiers. On hurlait, on lançait des pierres; la tête du missionnaire était mise à prix. La troupe se vit obligée de charger ces rassemblements tumultueux; il y eut quelques blessés. Le Gouverneur, M. Graëb, eut la faiblesse de condescendre aux exigences de la foule; M. Monnet fut consigné à l’hôpital, et, le 25 septembre, embarqué, de force sur le "Pionnier", navire marchand, pour être renvoyé en France.

Pourquoi tant d'animosité, contre l'apôtre des Noirs? Avant l'arrivée du "Calculta", on avait reçu de France des journaux contenant une pétition motivée, qui demandait l'abolition immédiate de l'esclavage, mais sans aucune mention d'une indemnité quelconque aux maîtres. Cette pétition provenait des négrophiles du parti Schoelcher, et l'abbé Monnet non seulement y était étranger, mais encore il y était contraire. C'était donc à tort qu'on lui en voulait. Pendant la traversée, il rédigea pour sa justification un mémoire dont voici un petit extrait : « Nous avons toujours dit qu'une émancipation quelconque sans indemnité convenable serait une injustice dont jamais le gouvernement ne voudra se rendre coupable. Comme prêtre, nous nous sommes toujours rappelé que, quand la religion catholique a rencontré l'esclavage la où elle étendait ses bienfaits, elle n'a jamais voulu faire arriver les esclaves à la liberté d'une manière précipitée; mais elle a toujours employé le temps l'instruction religieuse, la moralisation avec l'amour du travail et l'idée de société par la famille; enfin, tous les moyens propres à rendre cette liberté avantageuse aux émancipés et inoffensive pour les anciens maîtres et pour la société qui les admet parmi ses membres »... « On me dit que les manifestations hostiles qui ont eu lieu contre moi, dimanche à mon arrivée, sont le résultat de la persuasion où l'on est que j'aurais été l'instigateur et signataire de la fameuse pétition pour l'émancipation immédiate... Je déclare que non seulement je n'ai rien écrit ni dit dans ce sens, mais que, bien plus, j'ai qualifié cette pétition d'absurde, injuste et calomnieuse. »... « J'ai soutenu... que l'émancipation sans indemnité serait une injustice révoltante, et que même l'émancipation immédiate avec indemnité ferait encore le malheur des Noirs, et occasionnerait la perle des Colonies, etc.[1] ». Arrivé à Nantes vers le 1er janvier 1848, M. Monnet y fit aussitôt imprimer son mémoire, et alla ensuite à Paris en déposer un exemplaire au Ministère de la Marine. M. de Montebello lui fit très bon accueil; on blâmait fortement la conduite du gouverneur de Bourbon en cette circonstance, et l'on avait même déjà décidé son rappel.

Supérieur du Saint-Esprit.. - Fusion. - Vicaire apostolique de Madagascar

Pendant que M. Monnet prenait un peu de repos dans sa famille, après quelques jours passés au Séminaire du Saint Esprit, éclatait la Révolution de février 1848; et M. Leguay donnait sa démission. Il était d’avis, ainsi que les autres associés, qu'il fallait lui donner M. Monnet pour successeur. Pour obtenir son consentement, on lui députa l'abbé Gaultier. A la proposition qui lui fut faite, M. Monnet répondit qu'il eût préféré retourner à Bourbon; mais, que les portes lui en étant fermées, il serait heureux de rendre tous les services possibles à une Congrégation à laquelle il était cordialement, attaché; ils retourbèrent tous deux au Séminaire; le conseil s'assembla et, à l'unanimité, M. Monnet fut élu Supérieur. « Considérant, disaient-ils, que M. l'abbé Monnet, du diocèse de Cambrai, membre de la Congrégation, vice-Préfet de Bourbon, chanoine honoraire et chevalier de la Légion d'Honneur, connaît parfaitement les Colonies, auxquelles il a donné de nombreuses marques de dévouement, surtout en ce qui concerne la moralisation des Noirs... ; Considérant que ce dévouement, joint à son mérite et à ses vertus, lui a concilié l'estime des dites Colonies, du Gouvernement français et de la Sacrée Propagande, le dit Conseil le nomme Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit. -
Fait à Paris, le 2 mars 1848. »
Signé : LEGUAY, GAUTHIER, HARDY, WARNET, VIDAL, MONNET.

A cette même séance, M. Leguay fut élu premier assistant et l'abbé Gauthier second. – M. Leguay, par une lettre du 9 mars, informa le Cardinal Préfet de sa démission et de son remplacement par M. Monnet. Le Cardinal Fransoni répondit, en date du 10 avril 1848 :

« Rme Sr.
Je viens d'apprendre par votre lettre du 9 mars dernier votre démission de la charge que vous avez remplie jusqu'ici, de Supérieur de la Congrégation et du Séminaire du Saint-Esprit, et votre remplacement par M. Monnet. Le zèle digne d'éloges et la prudence avec lesquels vous avez travaillé au bien et au bonheur de la Société que vous dirigiez, font que la S. Congrégation ne supporte qu'à regret votre démission. Mais, puisque ce sont de graves raisons qui vous ont amené à vous démettre de la charge de Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit, la S. Congrégation de la Propagande ratifie votre démission, approuve et confirme l'élection de M. Monnet comme votre successeur.
Donné à Rome, de la Congr. de la Propagande, le 10 avril 1818.
J.-Ph. Card. FRANSONI, Préfet.
Alex. BARNABO, pro-secrétaire (1).

L'élection de M. Monnet fut de nouveau confirmée par une lettre du 12 avril, que le Cardinal écrivit en réponse à deux lettres du nouvel élu :

« Rme Sr.
j'ai reçu vos deux lettres, l'une du 16 mars dernier, l'autre du 21. La première m'a appris la démission de M. Leguay de sa charge de Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit, et votre élection comme son remplaçant. Je ne veux pas omettre de vous faire savoir que la S. C. de la Propagande confirme votre élection.
Donné à Rome, de la S. C. de la Propagande, le 12 avril 1818.
J.-Ph. Card. FRANSONI, Préfet. Alex. BARNABO, pro-secrétaire (1).

Six semaines après sa démission de Supérieur, M. Leguay donna encore celle de premier assistant et même de membre de la Congrégation; M. Loewenbruck fut alors élu premier assistant à sa place.

Par suite de quelles circonstances M. Monnet s'était-il porté à Cambrai comme candidat aux élections de l'Assemblée nationale qui eurent lieu le 23 avril? Les documents sont muets à cet égard, mais il ne fut point élu.

M. Monnet avait proposé à la Propagande de faire nommer M. Weber Vicaire apostolique de Madagascar, en remplacement de Mgr Dalmond, décédé, à l'hôpital de l'île de Sainte-Marie le 22 septembre 1847; mais de détacher les petites îles de la grande pour les confier à un Préfet. Il lui avait également manifesté le désir de voir nommer M. Vidal Vicaire apostolique de la Sénégambie et M. D'ossat, Préfet apostolique de Cayenne. Enfin, il demandait l'autorisation d'envoyer des prêtres en Haïti. Le 13 juillet 1848, le Cardinal Fransoni répondit que M. Weber était provisoirement nommé pro-Vicaire de Madagascar, grande et petites Iles; que M. Vidal et M. Dossat étaient nommés Préfets apostoliques le premier du Sénégal, le second de la Guyane, et qu'il lui ferait connaître la décision de la S. Congrégation au sujet de la mission d'Haïti. M. Monnet était aussi en correspondance avec Mgr Purcell, évêque de Cincinnati, relativement à un envoi de prêtres du Saint-Esprit aux États-Unis : ces deux derniers projets ne furent pas mis à exécution.

M. Monnet eut bientôt des difficultés avec Schoelcher, directeur des Colonies : celui-ci voulut lui imposer la nomination de M. Castelli pour la Martinique et celle de M. Dugoujon pour la Guadeloupe; ses réclamations restèrent sans effet et, vu les circonstances, Rome crut devoir les accepter. D'un autre côté, M. Monnet consentit au rappel de MM. Jacquin, Guyard et Arlabosse, rappel demandé par M. Schoelcher. Ces trois ecclésiastiques étaient alors Supérieurs ecclésiastiques intérimaires, avec le titre de vice-Préfets, le premier à la Martinique, le second à la Guadeloupe et le troisième au Sénégal. Dès le mois d'avril, le Ministère recommandait de réduire le personnel du Séminaire, pour être à même de faire des économies : en conséquence, à partir du 1er janvier 1849, l'allocation de 50.000 francs fut réduite à 29.000.

Le 20 août précédent, d'accord avec son Conseil, M. Monnet avait admis MM. Hervé, Hersent et Chéroutre comme membres de la Congrégation mais cette admission n'était que conditionnelle, puisque l'acte de leur réception stipulait qu'ils ne pourraient jouir des avantages temporels de la Congrégation qu'après une nouvelle convention et de nouveaux engagements passés.

Cette admission ainsi entendue montre qu'au Saint Esprit, comme, à la Propagande et au Ministère, on n'était pas encore fixé quant au mode d'après lequel devait se réaliser définitivement la réorganisation du Clergé colonial; mais le projet de M. Fourdinier, conçu en 1836, renouvelé en 1843, et repris en 1845 par M. Leguay, fut comme le point de départ, d'un mouvement qui devait aboutir à la fusion de la Congrégation du Saint-Coeur de Marie avec celle du Saint-Esprit.

N'est-ce pas le cas de reconnaître, en ces lenteurs de la sagesse romaine la Providence qui « atteint d'une extrémité à l'autre avec force et douceur? »

En 1840, alors que le pieux Fondateur de la Congrégation du Saint-Coeur de Marie se trouvait encore à Rome, l'abbé Frédéric Levavasseur, qui venait de terminer son séminaIre à Saint-Sulpice, et qui, par suite de ses rapports avec M. Warnet, était bien connu au Saint-Esprit, sur le conseil de son directeur, proposa à M. Fourdinier d'agréger la Congrégation naissante à celle du Saint-Esprit, afin de lui assurer l'existence canonique et légale. M. Fourdinier ne pouvait qu'accepter cette proposition, qui lui fournissait le moyen de renforcer le clergé colonial par un essaim de jeunes prêtres fervents et pleins de zèle; mais il mettait la condition que les membres de la Congrégation du Saint-Coeur de Marie seraient entièrement assimilés aux prêtres du Clergé colonial. Telles n'étaient pas les vues ni les intentions de l'abbé Levavasseur et de ses futurs confrères; ceux-ci voulaient la vie religieuse. L'abbé Levavasseur se retira donc sans avoir pu rien conclure.

Cependant, à la suite d'une entrevue avec M. Pinault, directeur au Séminaire d'Issy, le Supérieur du Saint-Esprit entra dans la voie de la conciliation, émettait cette pensée que, peut-être, la nouvelle Congrégation pourrait être entièrement et exclusivement chargé d'une Colonie; et il nomma la Guyane française. Il y avait là des éléments pour un accord, mais il n'y fut pas donné suite. Le successeur de M. Fourdinier, M. Warnet, l'ancien père spirituel de M. Levavasseur, eût été plus favorable à la fusion; mais nous savons que son titre de Supérieur général n'était que provisoire, et qu'il ne l'avait accepté que pour le passer à M. Leguay dès que celui-ci pourrait disposer de sa personne.

Par sa lettre du 28 avril 1845, le Cardinal Fransoni fit connaître à M. Libermann les vues de la S. C. de la Propagande sur ce projet de fusion :

« Rme Monsieur.
La S. Congrégation a le plus vif désir qu'on pourvoie, le mieux possible, au service spirituel des Colonies, et qu'on y envoie en nombre des missionnaires brûlant de zèle apostolique et pleins de sollicitude pour le bien de la religion et le salut des âmes. Plusieurs projets lui ont été déjà soumis dans ce but; mais, tout bien considéré, on ne voit pas clairement lequel serait à préférer dans les circonstances actuelles. Je pense qu'il serait opportun d'examiner sagement cette affaire avec le Nonce apostolique, et de soumettre à l'approbation de la S. Congrégation ce qui pourrait être mis à exécution. Cette affaire me semble d'autant plus facile à traiter que M. Warnet, nouveau Supérieur du Séminaire du Saint-Esprit, paraît être du même avis que Votre Seigneurie pour ce qui touche le bien de ces missions, etc... »

Mais M. Leguay, que les difficultés avaient peut-être découragé, regardait un peu de mauvais oeil la Congrégation naissante : il n'était donc pas opportun de traiter avec lui. Toutefois, dans les rapports du P. Libermann avec la Propagande, la Nonciature et le Ministère, il fut assez souvent question du projet d'union; et, comme ses missionnaires d'Afrique et de Bourbon donnaient satisfaction, la Propagande, la Nonciature et le Ministère tenaient à lui assigner une place dans les nouvelles combinaisons; mais M. Leguay fit tant d'opposition que l'on dut renoncer an projet de confier le Sénégal à la nouvelle Congrégation.

Avec M. Monnet, l'affaire changea d'aspect, : son attrait pour l'apostolat des Noirs, ses rapports intimes avec nos premiers Pères de Bourbon, sa correspondance avec le P. Libermann, son heureux séjour à La Neuville, furent autant de motifs pour celui-ci de s'ouvrir avec le successeur de M. Leguay. M Monnet lui répondit le 8 mai 1848 : « Je vous envoie le bon P. Loewenbruck, un des membres de notre Congrégation, qui vient d'arriver de Rome. Comme ce digne et pieux confrère jouit de toute ma confiance, je l'ai prié, d'aller passer la semaine avec vous pour traiter l'affaire dont je vous ai parlé en réponse à votre lettre. Examinez-la ensemble devant le Bon Dieu et, si vous croyez la fusion possible, revenez ensemble et nous nous réunirons de nouveau. »

Cette lettre fait donc supposer des démarches antérieures.

D'ailleurs, le Nonce de Paris avait été consulté par les chargés d'affaires des deux Instituts, et M. Monnet avait soumis le projet an Conseil de celui du Saint-Esprit. Et c’est en conséquence de ces délibérations que l'abbé Loewenbruck avait été envoyé, à Notre-Dame du Gard, auprès du P. Libermann, pour fixer les bases d'une entente.

Pour être plus dégagé et avoir plus de loisir de s'appliquer à l’examen de cette importante affaire, on convint de l'ajourner aux Vacances : « Nous attendons tous volontiers l'arrivée des vacances répondait M. Monnet.... et si c'est, comme je l'espère, l'esprit de Dieu qui nous dirige, nous arriverons à une heureuse conclusion. » (Lettre du 24 Mai).

Puis,quelques jours plus tard, il fit cette déclaration : « Je ferai tout ce que les membres des deux Congrégations voudront. » (Lettre du 29 Mai). A son invitation, le P. Libermann se rendit à Paris, et eut le 10 juin, une entrevue avec lui au Séminaire du Saint-Esprit. Après mûre délibération, la fusion fut décidée en principe. Le lendemain, fête de la Pentecôte, l'abbé Monnet adressa au P. Levavasseur la lettre suivante : « Cher et digne ami, c'en est fait, désormais nous n'aurons plus qu'un cœur et qu’une âme, comme nous ne formerons plus qu'une seule et même Congrégation. Notre réunion et fusion ont été décidées hier. Dieu a voulu se servir de moi pour être utile au Séminaire et à la Congrégation du Saint-Esprit dans un moment pénible et critique... »

Au commencement de juillet, il fut décidé, que Mr Lowenbruck, qui avait l'expérience de ces sortes d'affaires, serait député à Rome pour régler celle-ci avec la Propagande. Les deux Supérieurs lui remirent leurs lettres pour le Cardinal Fransoni, et, pour lui-même des instructions qui se résument dans les points suivants :

1° Sanction de la fusion par la S. C. de la Propagande;
2° Nomination de M. Monnet au Vicariat apostolique de Madagacar
3° Élection d'un nouveau Supérieur par les ou délégués des deux Congrégations;
4° Modification de certains points de la Règle récemment approuvée, surtout des articles concernant la pratique de la Pauvreté : les anciens membres n'y seraient astreints que dans la mesure à déterminer par eux; mais tous ceux que l'on admettrait seraient à l'avenir entièrement soumis aux prescriptions de ces articles;
5° les Règles de la Congrégation du Saint-Coeur de Marle serviraient de supplément, sous le titre de Constitutions, à la Règle canonique, sauf à y introduire les changements jugés nécessaires; suppression ou suspension du second Ordre.

Muni de ces lettres et de ces instructions, M. Loewenbruck se mit aussitôt en route pour la Ville éternelle et y arriva le 12 juillet 1848. Le 13, il eut un premier entretien avec le Cardinal Fransoni, puis avec son secrétaire, Mgr Barnabo, et, dès le 14, il écrivait à M. Libermann : « On applaudit à la fusion... et M. Monnet sera Vicaire apostolique de Madagascar. »

D'autre part, le Cardinal Fransoni répondait au P. Libermann :
« Rme Monsieur,
J'ai reçu votre lettre du 7 juillet dernier, où vous me parlez, d'une manière précise, de la fusion à faire en temps opportun, entre votre Société et la Congrégation du Saint-Esprit, et de la nomination de M. Monnet, comme Vicaire apostolique de l'ile de Madagascar. Ce projet que vous proposez ne me déplaît pas; mais comme c'est une question qui demande une attention particulière de la part de la S. Congrégation, je la ferai examiner par les RR. Pères. Par cette occasion, je vous envoie, en forme de bref, les lettres apostoliques nommant M. Jean-Rémi Bessieux, Vicaire apostolique des Guinées et évêque de Gallipoli. (Lettre du 25 juillet 1848). »

Le Cardinal Fransoni et Mgr Barnabo avaient donc à peu près adopté les vues et propositions de M. Libermann : en effet, répondant au Supérieur du Saint-Esprit, le Cardinal ne traitait que des affaires courantes; tandis que sa réponse à M. Libermann était explicite sur la fusion. Ensuite, Mgr Bessieux était nommé Vicaire apostolique des Deux-Guinées, tandis que l'abbé Weber, proposé par M. Monnet comme Vicaire apostolique de Madagascar, n'était nommé que provicaire, et provicaire provisoire, donec Vicarius aposlolicus eligalur, - usque dum aliter providealur. Enfin, M. Vidal proposé comme Vicaire apostolique de la Sénégambie, qui faisait déjà partie du Vicariat des Deux-Guinées, n'était nommé que Préfet apostolique du Sénégal. Le Cardinal Préfet de la Propagande et son secrétaire, Mgr Barnabo, se prononçaient en faveur des vues du P. Libermann; il ne leur restait plus qu'à soumettre leurs conclusions à la S . C. de la Propagande, et M. Loewenbruck put rentrer à Paris.

Le 3 août, il écrivit au P. Libermann pour lui donner avis de son retour et du succès de ses négociations.

Pressé par M. Monnet, le P. Libermann se rendit à Paris; il y arriva au moment où l'on expédiait des prêtres destinés à Bourbon.

Il fut convenu entre les deux Supérieurs que l'on se réunirait à Paris le 24 août pour délibérer et prendre une décision définitive. Cette réunion eut lieu effectivement au jour fixé; chacune des deux Congrégations était représentée par cinq membres.

Voici les bases et conditions de cette union :
1° La Congrégation restera consacrée au Saint-Esprit, sous l'invocation du Saint et Immaculé Coeur de Marie.
2° Les Règles du Saint-Esprit, approuvées par la S. C. de la Propagande, seront conservées, sauf les modifications à y faire quant à la Pauvreté.
3° L'admission des membres du second Ordre sera suspendue jusqu'à nouvelle décision de la Propagande.
4° Une copie de cet accord sera envoyée aux membres des deux Congrégations qui, désormais, se regarderont comme frères et s'aimeront comme tels.
5° Il sera statué ultérieurement sur les points non prévus par les Constitutions au moyen de règlements approuvés par la majorité.

Cet acte porte les signatures de MM. Monnet, Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit, F. Libermann, Supérieur de la Congrégation du Saint-Coeur de Marie, Warnet, Gaultier, Hardy, L.Vidal, Briot, J. Boulanger, François, Ignace Schwindenhammer.

Le projet de fusion soumis aux Cardinaux de la S. C. de la Propagande dans leur réunion du 4 septembre fut suivi, le 26, du Décret d'approbation. En voici le texte :

« Au R. Monsieur Monnet, Supérieur de la Congrégation et du Séminaire du Saint-Esprit, Paris.

Rme Sr. Le projet de fusion entre votre Congrégation et la Société fondée dernièrement en France, sous le vocable du T. S. Cœur de la B. Vierge Marie, projet approuvé par les Supérieurs et les membres des deux Instituts, a été soumis à la S. Congrégation; et, dans l'assemblée générale du 4 de ce mois, les EE. PP. l'ont examiné avec soin. Ils ont été heureux de connaître, d'après la teneur de vos demandes, que, soucieux de rendre une plus grande gloire à Dieu et pleins de zèle pour procurer avec plus de succès et de fruit le salut des âmes, mettant en commun vos efforts, vous ayez arrêté ce dessein : à savoir que, de même que les deux Congrégations n'ont qu'une même but et une même fin, de même aussi il n'y ait plus désormais qu'une seule Congrégation. Ainsi, en effet, les membres, unis entre eux par le lieu d'une charité plus étroite, obéissant à un seul et même Supérieur, soumis aux mêmes Règles, animés du même esprit et travaillant d'un commun effort, s'appliqueront davantage a porter la lumière de l'Évangile à ceux qui sont encore assis dans les ténèbres de la mort, principalement par le ministère de la parole, qui est la fin de ces deux Sociétés.

Après avoir mûrement réfléchi sur ce projet et les autres questions que vous avez soumises à l'examen de la Sacrée Congrégation, les EE. Pères ont été d'avis d'approuver votre proposition. C'est pourquoi il vous appartiendra, à présent, de réaliser cette union de vos deux Congrégations, de telle sorte que, celle du Très Saint Cœur de Marie cessant dès maintenant, ses Membres et ses Aspirants soient agrégés à la Congrégation du Saint-Esprit, jouissent des mêmes droits et privilèges et soient soumis aux mêmes Règles de discipline. Travaillez donc toujours davantage à devenir le modèle de toutes les vertus, spécialement des vertus ecclésiastiques, à croître sans cesse dans le zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, afin de bien mériter toujours de l'Église de Dieu et de recevoir au ciel l'immortelle couronne de gloire. Maintenant, pour ce qui me regarde particulièrement, je félicite Votre Seigneurie de voir vos vœux exaucés, et je prie Dieu de vous combler de tous ses biens.
Rome, de la S. Congrégation de la Propagande, le 26 septembre 1848. »
De Votre Seigneurie, le tout dévoué.
J.-Ph. Card. FRANsoizi, Préfet.
Alex. BARNABO, secrétaire (1).

Le 3 novembre suivant fut signé, cet autre Décret :
« Les Membres de la Congrégation du Saint-Esprit, fondée autrefois à Paris, principalement pour l'évangélisation des Missions, ayant demandé à la S. Congrégation de pouvoir ajouter au vocable du Saint-Esprit l'invocation de l'Immaculé Cœur de Marie, la Sacrée Congrégation sur le rapport du secrétaire soussigné, a cru devoir exaucer leurs vœux et a permis à l’avenir de désigner cette Société sous le nom de Congrégation du Saint-Esprit sous l'invocation de l'Immaculé Cœur de Marie. »

Donné à Rome, au palais de la S. Congrégation de la Propagande, le 3 novembre 1848.
J.-Ph. Card. FRANSONI., Préfet.
Alex. BARNABO, secrétaire (1).

Le 22 du même mois, Mgr Monnet résigna ses fonctions de Supérieur. L'acte de démission porte les signatures de Mgr Monnet et de MM. Libermann, Warnet, Gaultier, Hardy, Briot, Boulanger, François, de Lannurien. - Le lendemain, M. Libermann fut élu a l'unanimité des suffrages, moins le sien. Signé : Mgr Monnet, MM. Warnet, Gaultier, Hardy, Ignace Schwindenhammer, de Lanriurien, Boulanger, Briot, Baud et François.

Dans l'intervalle, le 3 octobre, M. Monnet avait été nommé, vicaire apostolique de Madagascar et évêque de Pella, et M. Weber, Préfet apostolique des Petites Iles. Le nouvel évêque fut sacré le 5 novembre, dans la chapelle du Séminaire, par le Cardinal Giraud, archevêque de Cambrai, assisté, de Mgr Graveran, de Quimper, et de Mgr Parisis, de Langres, tous deux mcmbres de l'Assemblée constituante. Quelque temps après son sacre, Mgr Monnet se rendit à Notre Dame-des-Victoires pour consacrer à la Sainte Vierge et sa personne et son immense Vicariat. Il y officia pontificalement et adressa aux assistants une touchante allocution. Après quelque temps de séjour, à Paris, pour s'occuper des affaires de sa Mission, il se rendit dans le Nord pour faire ses adieux à sa famille, et officia pontificalement, dans la cathédrale de Cambrai. Puis, toutes ses affaires terminées, il s'embarqua, Je 7 juin. 1849, à Cherbourg, sur le Chandernagor, navire de l'État, avec M. Ferroy, ancien Jésuite, son vicaire général, et quatre Missionnaires italiens expulsés de leur pays par Mazzini, les Pères Jésuites Ferretti, Romani, Boy et Piras.

Le navire relâcha d'abord à Gorée. Mgr Monnet trouva ainsi l'occasion de faire visite à Mgr Kobès, à Dakar, et de s'agenouiller sur la tombe de Mgr Truffet, qu'il avait connu et dont il avait apprécié le mérite. Le 7 août, le Chandernagor entra dans la magnifique rade de Rio-de-Janeiro, dont l'évêque invita Mgr Monnet à officier pontificalement, le jour de l'Assomption; le 20 août, le navire leva l'ancre et, le 19 octobre, il se trouvait dans la rade de Saint-Denis. Pendant la traversée, Mgr Monnet put admettre huit personnes à la première Communion, il y eut, en outre, d'autres communions et dix confirmations. Très bien accueilli à Bourbon, il ne revit pas sans émotion la Rivière des Pluies, sa chapelle et les bonnes familles Desbassayns et de Villèle, la Ressource avec ses écoles malgaches de garçons et de filles. Le 9 novembre avec le P. Jouen, Supérieur principal des Jésuites, et l'abbé Goré, Prêtre du Saint-Esprit, il s'embarquait pour l'île Sainte-Marie ;là se trouvaient alors l'abbé Galien et le P. Matthieu. Il y était le 12, quand il reçut de l'abbé Weber délégation de tous ses pouvoirs de Préfet apostolique sur les petites Iles. Le 18, il donna la confirmation à cinq jeunes filles malgaches de l'école des Soeurs, fit quelques baptêmes et visita les principaux établissements. Le 19, il se remit cn mer avec les PP. Jouen et Matthieu, laissant l'abbé Goré à Sainte-Marie pour remplacer le P. Matthieu auprès de l'abbé Gaben. A la hauteur du cap d'Ambre, Monseigneur eut quelques légers accès de fièvre; la nuit du 29 au 30 fut très agitée.

Le samedi ler décembre, le bateau entrait, dans les passes étroites de Mayotte, dont le desservant, le P. Cotain, se trouvait, depuis assez longtemps déjà, seul dans cette île; il se hâta de mettre pied à terre, de se diriger vers l'hôtel du commandant d'abord, puis vers l'hôpital. A midi, son état n'offrait rien d'alarmant; mais à peine se fut-il mis au lit que se produisirent d'effrayants symptômes : le mal prit tout à coup le caractère d'une violente, fièvre pernicieuse. Aussitôt commença le délire, pour ne finir qu'avec la vie. A 4 heures, « pendant que nous courions éperdus, dit le P. Jouen chercher les sacrements de l'Église, Mgr l'évêque de Pella, vicaire apostolique de Madagascar, rendait le dernier soupir entre les mains de l'un d'entre nous qui était resté auprès de lui et dont il put, du moins, avant d'expirer, recevoir une dernière absolution ». Le lendemain, les PP. Jouen, Cotain et Matthieu célébrèrent ses funérailles. Ce jour-là même le Chandernagor amenait à Mayotte MM. Ferroy et Calvinllac, qui devaient remplacer le P. Cotain. dans cettc île, et les quatre Pères italiens destinés à Nossi-Bé. Sans attendre leur débarquement, les PP. Jouen, et Matthieu montèrent à bord de l'Eglée, en partance pour Bourbon. En sa qualité de vicaire général, M. Ferroy, devenu par le fait Supérieur général de la Mission de la Grande-Ile. se rendit à Nossi-Bé, pour régler avec le Préfet Apostolique, M. Weber, la question de juridiction entre sa Mission et les petites Iles Malgaches.

Vers le 15 janvier 1850, M. Ferroy, le P. Cotain, les quatre Pères Italiens et le Frère Mazards passèrent à Nossi-Bé affligés de la perte de Mgr Monnet. M. Weber, non seulement reconnut à M. Ferroy des pouvoirs intérimaires sur la Grande Ile, mais il lui délégua encore ceux qu'il avait sur les petites Iles; de sorte que M. Ferroy se trouva chargé de toute la Mission de Madagascar, jusqu'à ce que Rome pût donner un successeur à Mgr Monnet et un autre à M. Weber qui songeait a se retirer. Le 15 août 1850, la Propagande, avec l'agrément du Ministère, nomma le P. Jouen Préfet apostolique de la Grande-Ile et, en janvier suivant, le P. Finaz, Préfet apostolique des petites Iles. Toute la Mission appartenait aux Jésuites.

Tous les prêtres séculiers rentrèrent alors à Bourbon, où Mgr Desprez leur confia divers postes. Seuls, MM. Weber et Goré allèrent commencer leur noviciat à la Ressource, où se trouvait déjà un ancien catéchiste de M. Dalmond, M. l'abbé Layat.

Par les soins de Mgr Desprez, le 3 décembre 1856, la dépouille mortelle de Mgr Monnet fut transférée solennellement dans la chapelle de la Rivière des Pluies et déposée dans un caveau pratiqué au bas du chœur, près de la balustrade qui sert de table de Communion.
(Extrait des Cahiers du R. P. Jérôme SCHWINDENHAMMER.)
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[1] Par ordre du Ministère de la Marine les prêtres étaient alors obligés de faire des comptes rendus assez fréquents, sur l'état l’oeuvre de la moralisation chrétienne des Noirs dans leurs paroisses respectives. Ces comptes rendus étaient ensuite envoyés au ministre par l'entremise des Préfets apostoliques. "En 1843, écrit M. Monnet, j’ai été chargé par l'autorité ecclésiastique de faire un rapport sur l'instruction morale et religieuse des esclaves. Ce rapport avait été demandé par Son Excellence le Ministre de la Marine et des Colonies et par l'honorable président de la Commission royale des Affaires coloniales (M. de Broglie). Nous savons que ce rapport a blessé les susceptibilités et beaucoup de monde... Nous nous sommes servi, nous l'avouons, de quelques expressions fortes, mais vraies. Nous n'avons rien dit sur la position matérielle des esclaves, ni au sujet de l'émancipation. Nous avons voulu blâmer vivement, deux abus que la Religion condamne et que nous regardons comme très nuisibles à la moralisation des esclaves et à leur instruction religieuse « la corvée du dimanche dans les habitations, et l'opposition d'un grand nombre de maîtres à l'instruction religieuse et au mariage de leurs esclaves. »

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