Père Jacques MORIN
né le 30 mai 1903 décédé le 13 novembre 2003


Jacques Morin est né à Saint Mandé le 30 mai 1923 ; ses parents étaient originaires de l’Aisne, mais fixés à Paris dans le commerce des meubles. Il fit ses études au Collège des Franc-Bourgeois, chez les Frères des Ecoles Chrétiennes et c’est là qu’il a consolidé une foi qu’il tenait de sa famille et qui l’a poussé vers le Sacerdoce et la vie missionnaire. Pourquoi et comment cette vocation ? nous n’avons jamais bien échangé la dessus, moi comme lui, d’ailleurs. Entre amis, on peut avoir aussi un jardin secret où seul le Seigneur a accès.

Mobilisé juste avant l’armistice de 1945, alors qu’il venait de commencer son noviciat, il fait son temps d’armée en Algérie et n’a pu rentrer à Cellule qu’en septembre 1946 pour faire profession en 1947. Ce fut ensuite Mortain et Chevilly ou nous avons fait connaissance, spécialement parce nous avons été ensemble infirmiers. Il fut ordonné en 1952 et reçut son obédience pour le diocèse de Pointe-Noire, où alors Procureur du Vicariat, je l’ai accueilli en octobre 1953 en même temps qu’un autre parisien, le Père Jean Bassot qui devait prendre lui-même la Procure trois ans après.

Il fut alors affecté dans une mission éloignée et pauvre, Mossendjo. Il s’initie, bien sûr, au ministère, un ministère très traditionnel, dans une région très peu chrétienne ou la Mission travaillait depuis plus de vingt ans sans beaucoup de résultats. Je crois qu’il s’y mit vaillamment avec notamment un confrère de son âge, le Père Mathieu Grall, à côté duquel il va maintenant reposer et avec lequel il s’entendait si bien.

Son caractère d’homme pratique, reçu d’une famille d’artisans, va prendre le dessus et la Mission va être profondément marquée sur le plan matériel par son passage ; à tel point que lorsque il faudra remplacer le Père Bassot comme procureur, c’est lui que Mgr Fauret coincera à Pointe-Noire au retour de son congé en 1960. C’est le début d’une carrière de gestionnaire, si l’on peut dire, qui durera 35 ans. Et c’est pendant le début de cette période où j’étais moi-même à l’Evêché avec lui, que nous avons beaucoup échangé et que notre amitié a vécu les bons et les moins bons évènements de toute vie missionnaire.

Jacques Morin a certainement été un de ceux qui ont permis à ce diocèse de Pointe-Noire d’atteindre son plein épanouissement en favorisant sur le plan matériel, grâce à sa gestion, la possibilité pour les missions de vivre leurs projets pastoraux et aux missionnaires, Pères et Sœurs, de vivre matériellement dans une aisance stricte mais suffisante. Il a été un excellent gestionnaire, sachant tout mettre en œuvre pour trouver des ressources, s’investissant à plein pour le développement à Pointe-Noire de la vieille imprimerie fondée par Mgr Carrie à Loango en 1890. Pourtant nos discussions étaient parfois vives, les projets apostoliques des uns se heurtant souvent au difficultés financières pour les réaliser. Cela nous divisait parfois, jamais pourtant profondément.

Au bout de dix-huit ans, il a fallu passer la main, dans des conditions difficiles, et c’est encore le Père Bassot qui recueillit cette situation. Jacques rentra en France, assez marqué par ce qu’il sentait venir, le gaspillage de tous ses efforts pour donner une solide assise matérielle à cette jeune Eglise. Tout ce qu’il entendit dire ensuite de la situation le renferma dans une très grande tristesse : son bon sens, sa loyauté, sa droiture furent profondément blessées et l’évocation de ces années d’Afrique devint difficiles avec lui.

Nous nous retrouverons alors en France, d’abord siégeant au Conseil Provincial, puis pendant mon séjour à la Procure des Missions : la Province lui avait proposé le poste d’Econome provincial adjoint, en équipe avec le Père Bazin.. Cela va durer 9 ans, après quoi il va prendre la responsabilité totale de ce service pendant huit ans. Une période là aussi de grands changements, de finances à trouver et à gérer, le souci du parc automobile des communautés, (c’était aussi sa passion), des grands travaux dans les communautés ; ici même le chantier fut assez considérable ; toutes les maisons de la Province, mais bien d’autres aussi, notamment des communautés de religieuses ont bénéficié de ses passages, de ses conseils. Jacques avait un grand souci des relations personnelles avec les artisans et fournisseurs auxquels il s’adressait, leurs témoignages d’amitié sont là pour le dire.

Les choses d’argent sont des choses sérieuses et Jacques ne maniait pas tellement l’humour en cela. Ses voyages n’étaient pas du tourisme et ceux qui l’accompagnaient n’avaient guère l’occasion de s’arrêter pour visiter tel ou tel site. Et pourtant il n’était pas mesquin ou grippe-sou, il savait accepter les nécessités de l’aide aux plus faibles, il était indulgents envers certains économes moins doués, et il mettait volontiers la main à la poche pour aider un missionnaire en congé ou pour régler telle note de restaurant d’un repas entre confrères.

Un économe tel que le fut Jacques était d’abord un religieux et un prêtre. Religieux, il l’a toujours été, même si certaines observances de la Règle lui pesaient. On sentait qu’il n’avait pas été élevé dans le sérail et que il se serait volontiers passé de certains détails. Prêtre, il l’a toujours été pleinement. Il savait qu’il était moins porté sur le ministère, mais il l’accomplissait avec beaucoup d’ardeur. Il avait un contact facile, à Pointe-Noire il animait des groupes de JEC, les gens savaient qui il était. Les religieuses notamment appréciaient beaucoup sa facilité de relation et il a exercé auprès d’elles sans doute les meilleurs moment de son apostolat, notamment dans la fondation du monastère de la Visitation de Loango. Prêtre il l’était encore plus en sa fonction eucharistique : pour lui, la messe restait la fonction principale de sa journée et il la célébrait envers et contre tout, à la maison comme en voyage et il n’a du que rarement manquer son bréviaire, même s’il préférait le prier en privé plutôt qu’au chœur. Quant au chapelet, il était tout le temps dans sa poche et le plus souvent possible dans sa main.

Voilà, je crois, frères et sœurs, celui qui vient de nous quitter. C’est volontairement qu’il avait choisi Langonnet pour sa retraite, s’éloignant pour ne pas gêner son successeur. Ce fut difficile pour lui. On ne quitte pas des fonctions importantes à Paris, lui le parisien, pour venir ainsi vivre dans une communauté rurale. Il a pu souvent heurter les uns et les autres par une certaine habitude de vouloir continuer à gérer les choses et les hommes : c’était son tempérament et il avait du mal a accepter ce qui ne lui semblait pas marcher comme il le sentait. Pourtant, c’était sans méchanceté, sans rancune pour personne ; je sais combien il était apprécié des membres du personnel qui sont au service de nos communautés, ici en particulier, la dernière pour lui.

Je crois que dans la grande panoplie des spiritains qui ont œuvré pour la Mission depuis trois cent ans, Jacques Morin a tenu sa place en bon fils de Poullart des Places et Libermann. Nous le confions au Seigneur comme un confrère fidèle, moi, comme un ami de toute ma vie.

Jacques, à je sais pas quand, mais nous nous retrouverons.
Guy Pannier
Abbaye Notre-Dame de Langonnet
15 novembre 2003