LE F. EBERHARD NOTHBAUM
(Notices Biog III p. 445-447) décédé à Notre-Dame de Langonnet, le 17 octobre 1908.


Hubert-Joseph Nothbaum est une des bonnes recrues fournies à notre Institut par le diocèse de Cologne. Né le 19 décembre 1851, à Burtscheid, près d'Aix-la-Chapelle, il demeura dans son pays natal jusqu'à l'âge de 24 ans. Tout en logeant sous le toit paternel, le jeune homme travaillait comme ouvrier tisserand dans une fabrique. Sa conduite constamment exemplaire le prédisposait à entendre avec profit l'appel divin. Dès que la Congrégation lui fut connue, il demanda son admission au postulat des Frères, à Chevilly, où il entra le ler juin 1875.

Au point de vue de la piété, Joseph Nothbaum donnait pleine satisfaction à ses Directeurs. Pour les capacités intellectuelles, c'était un peu une autre affaire : tard venu à la langue française, n'ayant fait dans son enfance que des études très sommaires, il ne brillait vraiment pas. Avec son immense bonne volonté, il arriva pourtant à comprendre le français mieux qu'à le parler. Mais, puisqu'il ne s'agissait point pour lui de devenir orateur, on ne regarda point la difficulté avec laquelle le postulant s'exprimait, comme un obstacle à son admission au nombre des Novices. Quant aux aptitudes pour les métiers et les travaux manuels on ne pouvait guère utiliser ses connaissances de l'industrie du tissage. Par ailleurs, il n'avait aucune autre spécialité ; puis, dans les petits travaux qu'on lui confiait, il était lent. Mais, par contre, comme il appartenait à la catégorie des travailleurs qui, sans aller bien vite, vont aussi longtemps que, le demande la tâche à eux confiée, on n'éprouva, de ce chef, aucune hésitation à l'agréer.

Le 19 mars 1876, Joseph Nothbaum revêtait l'habit religieux, à Chevilly, sous le nom de P. Eberhard. Vu son caractère placide, le temps de son noviciat ne fut signalé d'aucun incident. Tout doucement, ses bonnes dispositions se développaient : piété, vertu, dévouement allaient au mieux. Cependant, si l'on ne remarquait rien à l'extérieur indiquant un lutte pénible contre des obstacles, on aurait eu tort de conclure que la vertu ne coûtait quasi rien à ce novice, et qu'il était du nombre de ces bonnes natures peu sensibles, sur lesquelles la souffrance n'a guère de prise. De fait, il eut à batailler, pendant tout son noviciat, contre certaines répugnances, comme il l'écrivit franchement dans la lettre par laquelle il demandait à faire sa profession. « Je suis ici au noviciat du Saint Coeur de Marie, depuis deux ans, et je me plais beaucoup dans l'état religieux, malgré les répugnances que j'éprouve du côté de la nature, et que je saurai vaincre avec la grâce de Dieu ». On le voit, si le F. Eberhard se disait heureux en religion, c'était à la manière préconisée par saint Paul : « Je surabonde de joie au milieu des tribulations qui m'assaillent. »

Restait pourtant encore une difficulté. à écarter avant d'admettre le Frère à la profession. Pendant qu'il était dans le monde, certaines attaques de nerfs l'avaient tourmenté, à différentes reprises. On pouvait craindre qu'il fût atteint d'épilepsie, quoique les médecins n'eussent pas reconnu à ses crises les caractères de la terrible maladie. Ces attaques, disait-il, avaient cessé, une année avant son entrée dans l'Institut. Aucune secousse de ce genre ne l'avait frappé durant le temps de probation. Aussi, le Frère croyait-il avoir obtenu sa guérison. Le voyant si désireux de devenir religieux, ses parents, -père, mère, soeur et frère, - firent preuve, dans la circonstance, des plus délicats sentiments d'affection chrétienne : ils tranchèrent noblement la difficulté, en s'engageant par écrit à reprendre chez eux le jeune homme, au cas où la redoutée maladie viendrait à fondre sur lui. Le F. Eberhard put donc être admis à la profession, à Chevilly, le 8 septembre 1877.

Destiné à la Mission de Sierra Leone, le nouveau profès s'embarquait, à Cardiff, le 4 novembre 1877, sur un navire de commerce en partance pour Freetown. Il ne doit pas avoir fait un long séjour dans cette Mission. Car le bulletin de Sierra-Leone (1875-1879) ne le mentionne ni comme présent, ni comme ayant passé dans la Communauté. Sans doute le climat des tropiques ne convenait pas à son tempérament. Dès les premiers mois de 1878, en effet, nous retrouvons le F. Eberhard à Chevilly. Là, pendant sept ans, il travailla aux cultures et prit soin de la basse-cour. Au dire de quelqu'un, qui connaissait bien le caractère, les qualités et les habitudes du Frère, « cet emploi humble et silencieux lui convenait beaucoup : car, peu communicatif par nature, silencieux par nécessité (ne parlant guère bien le français), doux par tempérament, solitaire par éducation, mystique par grâce et par l'union habituelle de son âme avec Dieu, il était plus chez lui avec les êtres muets qu'avec les grands parleurs ».

A l'expiration de ses premiers voeux, le F. Eberhard les avait renouvelés pour cinq ans. Il ne voulut pas attendre le terme de -cette nouvelle période, avant de s'engager par les voeux perpétuels. Les Supérieurs l'autorisèrent volontiers à les émettre, le 8 septembre 1883.

Au mois de juillet 1885, le Frère était envoyé, comme jardinier, à la nouvelle communauté de Gethsémani, fondée près de Foix, avec l'espérance qu'elle procurerait des vocations à notre Congrégation. Les circonstances obligèrent à abandonnner cette Maison, à la fin de 1885. Le 26 novembre de cette même année, le F. Eberhard arrivait à Saint-Michel-en-Priziac. Il devait y passer la plus grande partie de sa vie religieuse. Là, dix-huit années durant, il sanctifia dans le recueillement les labeurs d'une des modestes fonctions de laitier-­fromager.

On ne connaît guère qu'un seul des sacrifices courageusement acceptés, à cette époque, par le digne Frère. En 1895, le gouvernement allemand avait autorisé la fondation d'établissements de notre Société en Allemagne. Au mois de mars 1896, le F. Eberhard demanda à être employé dans l'une des communautés qu'on allait y établir : « Comme l'occasion est favorable et que mes parents m'ont souvent écrit de leur faire visite, je vous serais reconnaissant si vous me choisissiez pour ,être placé dans une de nos nouvelles maisons d'Allemagne. » Les Supérieurs auraient été heureux de pouvoir accéder sur le champ au désir si légitime du Frère; mais certains obstacles les en empêchèrent. Le cher solliciteur dut accepter la remise, ;à plus tard du projet, dont la Providence ne permit point ensuite la réalisation.

Lorsque la persécution supprima la Communauté de Saint Michel, le 19 février 1904, le F. Eberhard descendit à l'abbaye, où il continua à faire des fromages, tant que sa santé le lui permit. Depuis quelques années, pris d'une maladie de la moelle épinières, il marchait appuyé sur une canne et penchant pres­que jusqu'à terre.

L'heure de la récompense sonna Pour le pauvre paralytique,-le soir du samedi 17 octobre 1908.

En annonçant à la Maison-­Mère la mort de ce confrère, qui venait d'édifier profondément la communauté de Langonnet, le P. Supérieur caractérisait ainsi la vertu du défunt : « Le douloureux sacrifice du cher F. Eberhard est enfin accompli. Il vient de couronner une vie de souffrances par une mort vraiment consolante. Autant les deux dernières semaines de sa vie ont été pénibles, autant ses derniers instants ont été paisibles. Hier, à 8 heures du soir, il s'est doucement endormi dans la paix du Seigneur, sans souffrance apparente.

La patience héroïque et la résignation parfaite qui ont marqué sa longue et pénible maladie, sont un effet de sa solide vertu, vertu qu'il a journellement puisée dans la méditation de la passion douloureuse de notre divin Sauveur. L'exercice quotidien du chemin de la Croix à été sa grande dévotion

Aussi a-t­-il eu le mérite spécial d'une vie de souffrances terribles qui en a fait une victime continuelle. Je nourris l'intime conviction qu'au Ciel le bon Dieu lui aura accordé une place d'honneur. »
L.DEDIANNE.

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