Le P. Jean PAYEUR,
de la Province de France, décédé à la Martinique le 12 août 1938,
a l'âge de 33 ans, après 7 ans et Il mois de profession.


Le 16 août 1938, un câblogramme de la Martinique annon­çait à la Maison-Mère la disparition du P. Payeur, professeur de sciences au collège de Fort-de-France, victime d'un acci­dent de montagne. Quelques jours plus tard, dans une longue lettre que nous reproduisons plus loin, le P. Arostéguy, curé du Lorrain, donnait sur l'accident les seuls renseignements recueillis jusqu'à ce jour. La disparition demeura mysté­rieuse, et la montagne garde jalousement son secret.

Jean, Charles, Antoine Payeur était né le 22 juillet 1905, à Lemberg, diocèse de Metz. Quelques mois après sa naissance, sa famille vint se fixer dans la petite ville industrielle de Sarreguemines, où son père, le Dr Payeur, exerce la méde­cine avec un talent qui lui a justement valu la confiance et l'estime de ses concitoyens. Il espérait que son fils lui succé­derait dans cette carrière, et, dans ce but, lui fit faire de fortes études au lycée de Sarreguemines, puis à l'Université de Strasbourg.

Mais le jeune homme avait d'autres goûts, ou plutôt, la Providence avait d'autres desseins sur lui. Comme le dit le R. P. Schneider alors supérieur de Neufgrange et confident du jeune homme :

« Dès son jeune âge, il se sentit dégoûté du monde et attiré vers une vie de solitude, de mortification et de prière: Il ne se sentait nul goût pour la carrière médicale, n'eut pas d'ar­deur pour les études qui y préparent, et échoua à l'examen qui en ouvre l'accès. »

C'est alors qu'il fit connaître au R.P. Supérieur de Neuf­grange son désir d'entrer dans la Congrégation. Afin d'éprouver sa constance, le Père lui conseilla d'attendre encore et de bien étudier sa vocation. Docile, le jeune homme attendit. Il avait obtenu une petite place au bureau météo­rologique de Strasbourg. C'est de cette ville que, le ler août 1929, après une année de prière et de réflexion, il sollicitait son admission dans la Congrégation :

« Après des études secondaires qui m'ont fait obtenir le baccalauréat, j'ai fait quelques études scientifiques à l'Uni­versité, puis j'ai obtenu un emploi de petit fonctionnaire. Apprenant par diverses lectures le manque actuel de prêtres, surtout dans les pays de mission, le désir du Sacerdoce, déjà éprouvé au sortir du lycée, s'est réveillé en moi, et.. dans l'espoir que je pourrai encore m'y conserver, j'ai consulté le B. P. Supérieur de Neufgrange qui m'a engagé à solliciter mon admission dans la Congrégation. » Cette demande fut agréée, et, en septembre 1929, le jeune homme entrait au Noviciat des Clercs. Un abord plutôt froid et des manières assez gauches ne prévenaient pas en sa faveur; il gagnait à être mieux connu, car on s'apercevait bien vite que cet extérieur cachait une âme généreuse, d'une solide piété et ardemment désireuse de se donner complètement à Dieu. « J'ai senti, écrivait-il alors, que Dieu demandait de moi plus que ce que je pouvais faire dans le trop étroit champ d'action que m'offraient les oeuvres d'apostolat laïque. Je voulais surtout contribuer à cette oeuvre de la Propagation de la Foi que je voyais si nécessaire et avançant cependant trop lentement par suite du manque d'ouvriers. C'est ce manque d'ouvriers qui me donne l'espoir qu'en entrant dans une Congrégation missionnaire, je trouverai toujours une petite place où je puisse travailler utilement à la Vigne du Père de famille. Maintenant, après avoir pris contact avec la vie religieuse et appris à connaître la Congrégation, je suis prêt à y faire ma Profession, si vous me jugez digne d'y être admis. »

Il fut admis et prononça ses premiers vœux le 8 septembre 1930, au Noviciat d'Orly.

Puis ce furent les études théologiques au grand scolas­ticat de Chevilly. Ces années s'écoulèrent normalement, marquées par les étapes successives des différents Ordres qui l'acheminèrent vers le Sacerdoce. Il fut ordonné prêtre, le 7 octobre 1934; le 31 mars précédent, il avait eu le bonheur de se donner définitivement à Dieu par l'émission des vœux perpétuels. Le 7 juillet 1935, il se consacrait à l'apostolat et recevait son obédience pour la Martinique, comme pro­fesseur de sciences au collège de Fort-de-France. Son rêve était enfin réalisé : la carrière apostolique s'ouvrait devant le jeune missionnaire qui partit joyeusement rejoindre le poste que lui assignait l'obéissance, et dans lequel il entrevoyait un long avenir de dévouement à Dieu et aux âmes.

Les débuts au collège furent laborieux. Comme tout mis­sionnaire le P. Payeur ne tarde pas à rencontrer la souffrance, compagne obligée de tout apostolat. Aux souffrances phy­siques d'un climat qui soumit ses nerfs à de rudes épreuves, vinrent s'ajouter les souffrances morales de se voir incompris de ses jeunes et bouillants élèves! Sous les tropiques, la men­talité des jeunes est bien différente de celle de nos collégiens de France ! Les tempéraments ne purent s'accorder, et après trois pénible, années de tentatives infructueuses pour s'adapter à ce milieu, le Père tourna ses regards vers un autre champ d'action. La Préfecture apostolique de Saint-Pierre et Miquelon demandait un professeur de sciences pour le collège de Saint-Pierre; on choisit le P. Payeur.

La date de son départ étant fixée, le Père voulut terminer son séjour à la Martinique par quelques randonnées intéres­santes à travers cette île si justement dénommée « la perle des Antilles ». Il désirait surtout faire l'excursion de la mon­tagne Pelée et tenter de recueillir des observations scienti­fiques sur son volcan. C'est durant cette excursion que se produisit le tragique accident qui lui coûta la vie. Nous lais­sons la parole au P. Arostéguy, plus qualifié que tout autre pour nous renseigner,

Voici ce qu'il écrivait, le 19 août 1938, aux parents du cher disparu, si cruellement éprouvés.

« Lorrain, le 19 août 1938.
« Cher Monsieur,
« Chère Madame,
« L'année dernière, au mois de septembre, lors d'un petit séjour à Neufgrange, un heureux hasard m'a conduit chez vous, et nous avons longuement parlé de votre cher fils, qui, pendant ses vacances, avait passé plusieurs semaines au presbytère du Lorrain.

« Je ne me doutais pas, qu'un jour, j'aurais le douloureux devoir de vous donner des nouvelles de votre fils. De la Mai­son-Mère, rue Lhomond, on vous aura sans doute transmis le câble expédié de la Martinique par Mgr Lequien, le 13 août. Dans quelle horrible anxiété, ne devez-vous pas attendre quelques renseignements. J'aurais tant voulu qu'ils vous consolent. Vous avez perdu un fils, nous avons perdu un bon prêtre, un religieux exemplaire, un charmant confrère.

« Vous savez que le P. Payeur devait s'embarquer par la prochaine occasion pour se rendre à Saint-Pierre et Mique­lon, via New-York. Ce changement, nécessité par le besoin d'un professeur de sciences à Saint-Pierre et Miquelon, solu­tionnait à la satisfaction générale quelques petites difficultés. Votre fils était un professeur, plein de science, possédant sa matière, travaillant avec dévouement; mais la discipline avec nos bouillants petits créoles, fils du pays du chaud soleil, demande une patience assez grande, persévérante, bien méritoire. Le climat débilitant accentue les nervosités. De là, des incompréhensions, des frictions qui n'ont aucune gravité, mais qui rendent la vie quotidienne entre professeurs et élèves un peu houleuse.

« Votre fils a reçu, plutôt joyeusement, l'ordre de la Maison-Mère de se rendre à Saint-Pierre et Miquelon. Il avait fait tous ses préparatifs, tout en rendant des services très appréciés pour le ministère de la cathédrale, à Fort-de­France. Il avait demandé les deux dernières semaines pour faire ses adieux aux confrères, agrémentés de quelques excur­sions - il tenait beaucoup à celle de la Montagne Pelée.

« Très méthodique, il avait noté son itinéraire, jour par jour, heure par heure. Le jeudi 11 août, il était au Morne Rouge, lieu de villégiature, 600 mètres d'altitude, au pied du Mont-Pelé. Mgr Lequien y est actuellement pour ses vacances. Votre fils parle de l'excursion, que seul, le lende­main, il voulait faire, en partant de Saint-Pierre, pour l'ascen­sion du Mont Pelé. Tous cherchèrent à l'en dissuader, en lui disant de se faire accompagner au moins d'un Noir connais­sant la montagne. Très personnel dans ses idées, votre fils s'entêta.

« Le lendemain, à Saint-Pierre, au bord de la mer ( 6 km. du Morne Bouge) il demanda au P. Curé, après sa messe, un déjeuner un peu plus copieux que d'habitude, et à 7 heures, avec un morceau de pain, quelques bananes, et une boite de sardines, il partit, seul, malgré les nouvelles observations du Curé. Il voulait sans doute être plus libre, pour son itiné­raire, ses haltes, ses observations, les photos à prendre...

« Il ne faut rien exagérer : une pareille excursion ne pré­ sente pas des dangers imminents. Mais il faut toujours craindre le mauvais temps le brouillard, les crues subites, les éboulements, les glissades, les chutes qui, au milieu des amoncellements fantastiques de rochers, des crevasses, des précipices, peuvent être mortelles.

« Le Père, après un parcours de quelques kilomètres au bord de là mer, remonte le cours de la Rivière-Blanche (un petit torrent). C'est par là que, lors des éruptions de 1929, dévalèrent les nuées ardentes sortant du cratère volcanique redevenu dangereusement actif après vingt-sept ans de calme. Ces nuées de température très élevée (2 ou 3.000 de­grés) avec les cendres, les bombes volcaniques ont fait de la vallée de la Rivière Blanche un paysage de ravages, de mort, de désolation fantastique, d'un effet indescriptible : sable, cendres, chaos de rochers, avec falaises et crevasses. Pas un brin d'herbe, de végétation; une chaleur torride; quand il pleut, des inondations subites avec le torrent qui s'élance n'importe où, fouillant les terres, et changeant à ne pas s'y reconnaître la configuration du sol; avec le soleil, une réver­bération aveuglante avec des nuages de cendres soulevés par le vent.

« L'ascension du Mont Pelé par cette voie se fait couram­ment, même par des touristes non entraînés, parce que très intéressante et très impressionnante.

« Le Père a suivi ce chemin, a dû atteindre un petit obser­vatoire assez haut perché, bâti par un volcanologue de renom, a dû passer par les « sources chaudes ». Des prome­neurs l'ont vu à 10 heures. Des excursionnistes prétendent l'avoir reconnu à 3 heures du soir s'engageant dans une direction dangereuse et lui auraient fait signe de revenir en arrière. Mais l'ont-ils réellement aperçu? La soirée passe, la nuit vient.

Le P. Vénard, curé de Saint- ierre, très inquiet, ne peut prendre aucun rensei­gnement, car il est 7 heures du soir, il y eut un orage d'une vio­lence inouïe avec des trombes d'eau, qui pendant plusieurs heures couvrirent la montagne.

« Le lendemain, de bonne heure, le P. Curé réunit quatre hommes connaissant bien la montagne, les envoya en auto, pour arriver plus vite à l'endroit des recherches. Les pro­priétaires les plus importants des flancs de la montagne furent alertés... Le samedi soir, toutes les recherches n'avaient donné aucun résultat. Tous les postes de gendar­merie furent prévenus. D'ailleurs dans tout le nord de l'Ile voisinage de la montagne, la triste disparition était rapide­ment connue,

« Le lendemain dimanche, l'abbé Charneau, curé du Pré­cheur, devança l'heure de la messe et avec 25 hommes, habi­tués de la montagne, fit des recherches toute la journée. Le P. Gallot, curé du Morne-Rouge, dit un mot en chaire, et beaucoup d'hommes do bonne volonté (une centaine croit-­on) se mirent en route. Le dimanche soir et toute la journée du lundi, 15 jeunes gens du Cercle Ouvrier de Fort-de-France, habitués aux excursions de la montagne tirent également des rccherches, Le lundi, le F. Jacques, professeur du Séminaire­ Collège, passa toute la journée en recherches avec quatre hommes.

« Le lundi soir, Mgr Lequien, par càble avait annoncé, a la Maison-Mère, la disparition du pauvre Père. Les recherches continuèrent le mardi et les jours suivants, car partout il y a eu grosse émotion, et riches et pauvres, nous demandaient à chaque instant si le Père était retrouvé.

« La montagne meurtrière. a gardé, jalousement son secret. Le livrera-t-elle un jour?

« Pendant toutes ces angoissantes journées, ma pensée s'est souvent portée vers vous, à Sarreguemines.... et je n'étais pas le seul.

Combien de femmes du peuple qui m'ont dit : « Et les pauvres parent ? »

« En bon religieux et missionnaire, le bon P. Payeur avait dit adieu à tout ici~bas, et avait tout sacrifié pour son idéal... Le Bon Dieu l'a sûrement déjà récompensé. La grande peine est pour ceux qui restent.

« Croyez bien que les confrères de votre fils, tous ses amis compatissent à votre grande douleur. Recevez les condo­léances en leur nom et en mon nom personnel.

« Mgr Lequien fera probablement célébrer un service solen­nel à Fort-de~France, la semaine prochaine, lors de la retraite annuelle des prêtres séculiers. Un autre sera célébré au Collège à une date ultérieure. Selon les Constitutions de notre Institut, la communauté du disparu fera célébrer neuf messes et le district trente messes.

« La semaine prochaine, quand j'irai à Fort-de-France, je choisirai dans les effets de votre cher fils, les souvenirs per­sonnels que certainement vous attendez.

« Le P. Payeur devait s'embarquer le 17 août pour New­York. Ses journées du 13-14-I5 août étaient méticuleusement distribuées, par avance, heure par heure, pour aider ses confrères pour les confessions, prédications, messes, pour un jubilé et une retraîte de Première Communion.

« Je suis à votre entière disposition pour tous les renseigne
ments et pour tous les services que je pourrais vous rendre. Père B. AROSTÉGUY.
La disparition du P. Payeur ajoute un nom de plus à la liste, si longue déjà, des victimes du volcan.

Nous avons entendu dire que la Rivière Blanche, torrent qui dévale de la montagne, avait rejeté sur ses rives une chaussure et une partie du cordon du Père, mais son corps n'a pas été retrouvé.

Nous espérons qu'au ciel il continue de prier pour cette Martinique qui désormais lui sera d'autant plus chère, qu'elle a été pour lui la terre des souffrances et du suprême sacrifice.

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