Le Père François PICHON,

1898-1966


Le 28 mars 1966, s'éteignait à l'île Maurice le Père François Pichon, après cinq mois de maladie supportée avec patience et pleine acceptation de la volonté de Dieu. Avec lui disparaissait l'un des plus marquants parmi les Spiritains qui reprirent, après la guerre de 1914-1918 la succession des Pères Pallotins à Yaoundé.

La Mission du Cameroun venait d'être définitivement confiée à la Congrégation du Saint-Esprit, après que le Cameroun eût été remis à la France par le Traité de Saint-Germain et la décision de la Société des Nations qui en faisait un territoire sous mandat. Monseigneur Hennemann, Pallotin, donnait alors sa démission et Rome transférait à Yaoundé Monseigneur Vogt, Vicaire apostolique de Bagamoyo.

Un mouvement extraordinaire de conversions au catholicisme se manifestait dans plusieurs tribus camerounaises, et plus spécialement à Yaoundé ; mais les missionnaires n'étaient encore qu'une poignée, et ils étaient littéralement débordés par leur travail. C'est alors (septembre 1923) qu'arriva le jeune Père François Pichon. Né à Brest, au diocèse de Quimper, le 23 avril 1898, d'une très modeste famille qui devait donner au service de Dieu trois fils prêtres spiritains, les PP. Pierre, Yves et François Pichon, et deux filles religieuses.

François entra, en 1909, à l'école apostolique de Gentinnes et fut retenu en Belgique pendant toute la guerre jusqu'en 1919. Il fit son noviciat à Louvain et y reçut la première tonsure, avant de venir terminer sa théologie au scolasticat de Chevilly. De cette famille à laquelle il appartenait, on peut dire ce qu'on a dit de la famille de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, que ce fut une famille caractérisée par la contagion fraternelle, parce que frères et s_urs s'entraînaient mutuellement à la vocation apostolique.

Ordonné prêtre à Chevilly le 28 octobre 1922, il reçut en juillet 1923 son obédience pour le Cameroun où se trouvait déjà son frère aîné, Pierre.

Placé à Mvolyé, il trouvait dans ce poste une chrétienté de quelque 25.000 chrétiens et autant de catéchumènes, sur un territoire s'étendant vers l'Est à plus de 700 kilomètres. Travaux matériels, tournées de brousse épuisantes, des heures et des heures au confessionnal, il y avait-là plus qu'il n'en fallait pour éviter l'ennui au jeune missionnaire, qui partageait ce travail avec deux ou trois confrères. Mais il y avait surtout plusieurs milliers d'écoliers, soit à la mission, soit en brousse, avec des moniteurs qui avaient dû se mettre au français après avoir enseigné l'allemand on les lui confia... sans pour cela le dispenser du ministère habituel. Il se montre tout de suite excellent éducateur : il compose des syllabaires, des livres de lecture en français et en . ewondo, sagement adaptés aux écoliers africains ; et, bien avant que soit découverte "officiellement" l'éducation de base, il la pratique. Longtemps, ses ouvrages furent les seuls de ce genre et ils servirent de modèles à ceux qui furent publiés par la suite. Et si le Sud-Cameroun compte parmi les pays d'Afrique ayant le moins d'analphabètes, c'est en grande partie au Père Pichon qu'il le doit.

A son don de pédagogue averti, le Père joignit celui de linguiste parlant à la perfection l'ewondo, langue difficile àcause des "tons" qui changent le sens des mots, il reprit et compléta les ouvrages des Pères Pallotins, composant une grammaire, traduisant des livres liturgiques, rédigeant des ouvrages de piété, etc...

En 1927, tout en demeurant vicaire à Mvolyé, il commença la fondation d'une nouvelle mission, à Nkilzok, à une quarantaine de kilomètres. Chaque mois, il y passait quelques jours et assurait les offices d'un dimanche : c'était des journées harassantes avec les confessions, les mariages à préparer, les interminables "palabres" à régler, les catéchistes à contrôler, etc... Plusieurs fois, ses paroissiens durent le rapporter couché dans un hamac, complètement exténué. Il se remettait et repartait de plus belle, sans souci pour sa santé.

Lorsqu'en 1931 Mgr Vogt songea à diviser son Vicariat en créant une Préfecture dans l'Est, à Doumé, c'est au Père François Pichon qu'il pensa, comme pouvant en devenir le chef, et, dans ce but, il l'envoya installer la mission de Doumé, dont le Père Florent Willem avait posé les premiers fondements. Si les circonstances firent que cette Préfecture ne put être érigée de suite, et ne devint autonome qu'en 1947 et confiée aux Spiritains hollandais, le geste de son évêque montre en quelle estime il le tenait, et quelle confiance il avait en ses capacités.

C'est en toute humilité que le Père revint prendre place "dans le rang" des missionnaires. Après avoir fondé la mission de Lomié, puis avoir relancé celles de Bikop, Nkol-Nkumu, et surtout Medzek où il construisit une fort belle église, il fonda Messamena ; ayant cédé la place à des prêtres africains - dont son ancien boy - il partit avec son vicaire pour reprendre la station de Nkomotu, mais à la condition que les rôles soient changés et qu'il devînt lui-même vicaire. Enfin, sentant la fatigue venir avec l'âge, il pensa rentrer en Europe. Pourtant, il céda aux instances d'un autre de ses anciens écoliers, Mgr Etoga, évêque de Mbalmayo, et reprit du service à Obout.

Venu en congé en 1965, il rencontre son frère Pierre, qui rentrait, usé, de Maurice. Par affection fraternelle, il décida de le remplacer et s'y rendit au mois d'août. Il y fut reçu à bras ouverts, en souvenir de son frère, et il se remit de suite au ministère. Mais on sentait, dans sa correspondance, que son c_ur restait attaché au Cameroun, et il se préoccupait de l'avenir de son ancienne mission pour laquelle il ne cessait de prier : il ne pouvait oublier qu'il lui avait donné 42 années de sa vie !

Mais le Bon Dieu avait décidé que son serviteur avait assez besogné ici-bas, et en décembre, le Père devait entrer à l'hôpital, atteint de leucémie : faisait souvent perdre patience, ce dont il était le premier à en souffrir lorsque "ses accès de mansuétude", comme il les appelait en se raillant lui-même, lui faisaient commettre quelques bévues. Sans doute, la Providence voulait lui donner-là une occasion de se purifier avant de paraître devant son juge. Mais, s'il se laissait parfois emporter, c'était toujours dans l'ardeur de son zèle, et pour obtenir de ses ouailles une plus grande régularité et une vie plus chrétienne. Celles-ci, d'ailleurs, ne s'y méprenaient pas, et lui gardaient estime et affection : après tout, un père se doit de gronder ses enfants, et ceux-ci savent que c'est pour leur bien.

Quant à ses confrères, ils savaient apprécier ce missionnaire toujours accueillant, plein d'expérience, et qui savait raconter avec esprit et à propos les aventures vécues par lui au cours des années de ministère. Et il y en avait ! ne serait-ce que ses démêlés avec certains administrateurs d'avant-guerre, pour qui l'anticléricalisme était bel et bien "objet d'exportation". Témoin ce fait qui eut lieu lorsqu'il fondait Lomié : l'un de ces administrateurs avait juré "d'avoir le Père". Ce dernier ayant pris parti pour des femmes de polygames, qui voulaient se libérer de l'esclavage où elles étaient tenues, avec l'approbation de l'Administration, sous prétexte de "respecter les coutumes", l'administrateur en question vint à Lomié pour sévir contre lui. Mais par suite de circonstances curieuses et mal définies, il se trouva que ledit administrateur, au cours de la nuit, était mourant. Un de ses collègues, franc-maçon bon teint, fut obligé de venir appeler le Père pour confesser et administrer le malade. Le Père s'y rendit sur le champ. Et tout finit bien : l'administrateur se remit, tout à fait converti et chrétien pratiquant, et, bien entendu, excellent ami du Père tout heureux de ce dénouement.

Grand lecteur et doué d'une excellente mémoire, le Père était apte à donner de sages conseils. Et la Somme de saint Thomas d'Aquin ne quittait pas son chevet : c'est là qu'il puisait la doctrine qu'il transmettait à ses chrétiens, soit dans ses sermons toujours très goûtés, soit dans ses articles de presse, spécialement dans le "NleIl Bekristen", hebdomadaire ewondo. Que Dieu daigne donner sa récompense à celui qui fut un "bon et fidèle serviteur" dans le champ du Père ! Il est décédé à Curepipe (île Maurice), le 28 mars 1966, à l'âge de 68 ans. Mgr René Graffin

Page précédente