Père Clément RAIMBAULT[1] 1875-1949

Le nom du Père Clément Raimbault est-il resté dans quelques mémoires ? Chez les spiritains qui travaillent ou qui ont travaillé à Madagascar, c'est un nom qui doit dire au moins quelque chose pour peu qu'ils s'intéressent à l'histoire des diocèse du nord de Madagascar. Le nom du Père Raimbault est lié à l'île de Nosy Be et aussi, peut-être d'une façon moins marqué, à l'île de la Réunion où il termina sa vie. Essayons de dire ce que fut sa vie. Ce récit se divisera en trois parties : d'abord la partie qui précède son arrivée à Nosy Be avant 1903, puis son long séjour à Nosy Be jusqu'en 1932, et enfin son séjour à l'île de la Réunion jusqu'à sa mort en 1949.

Naissance et formation.

Clément Raimbault est né le 25 février 1875 à Henrichemont près de Bourges, au centre de la France. Sa famille devait être aisée, plus tard elle pourra en effet investir dans les industries du P. Raimbault. On avait des traditions dans la famille, et l'on vénérait une ancêtre qui avait été béguine en Belgique. Elle était morte en odeur de sainteté et se nommait de Ronderath, de ce nom viendrait le nom de Raimbault. Le nom lui-même de Henrichemont a toute une histoire puisque en ce lieu il y aurait eu un ancien pavillon de chasse du roi Henri IV. Clément Raimbault avait au moins un frère et deux s_urs. Son frère était aussi ecclésiastique, le chanoine Joseph Raimbault, et une de ses s_urs était religieuse[2].

D'après le Père Nantas, Clément Raimbault aurait fait partie dans ces jeunes années d'une expédition française au centre de l'Afrique. Il arriva ainsi à la mission de la Sainte Famille des Banziri (dans la R.C.A. actuelle) où il rencontra le Père Moreau, un spiritain. C'est peut-être cette rencontre qui a déterminé sa vocation missionnaire dans la congrégation du Saint-Esprit.

De retour en France, il entra au grand séminaire de Bourges et fut ordonné prêtre le 29 juin 1901. Il fut nommé vicaire dans sa paroisse natale, mais très vite il entra au noviciat des spiritains à Orly, le 19 novembre 1901. Son maître des novices était le Père Genoud, un savoyard, qui devint plus tard évêque de la Guadeloupe.

Clément Raimbault termina son noviciat et fit sa profession religieuse le 8 février 1903. Le 2 mai 1903 déjà, il arrivait à Nosy Be, une île au nord-ouest de Madagascar. Il y trouvait le Père Audren[3] qui était venu de l'île de la Martinique l'année précédente, ainsi que les Frères Denis et Léon. Une année n'était pas encore passé depuis l'arrivée du P. Raimbault à Nosy Be que le Père Audren malade repartait pour l'Europe. Et voilà notre P. Raimbault, supérieur de la Mission de Nosy Be. Il restera en place jusqu'en 1932, 29 ans.

L'île de Nosy Be.

Pour bien comprendre l'histoire du P. Raimbault à Nosy Be, il faut comprendre d'abord ce que représentait cette île en 1903. Quand on lit le bulletin général de cette époque, le rapport concernant Nosy Be suit celui d'Analalava ou de Diégo-Suarez ou de Fénérive. C'était des postes de missions appartenant au Vicariat apostolique de Madagascar-Nord. Mais l'île de Nosy Be n'avait pas du tout le même passé historique que ces autres missions.

L'occupation de Madagascar par les français date de 1895. Les Spiritains arrivent dans la grande île en 1898. L'anniversaire en a été fêté, il y a quelques années. Nosy Be par contre fut administré par la France dès 1841 déjà. Très vite s'organise dans cette île une administration à la manière française. Ce devait être une administration comme il y en avait une à Saint-Pierre et Miquelon ou dans les comptoirs français de l'Inde. On y trouvait tous les services administratifs. La législation française de l'époque ne connaissait pas encore la séparation de l'Eglise et de l'Etat. L'Eglise était donc représentée parmi les services de l'Etat. Nosy Be auquel sera adjointe l'île de Mayotte et épisodiquement aussi l'île de Sainte-Marie sur la côte est, devient "la préfecture apostolique des petites îles malgaches", avec un prêtre comme préfet apostolique.

Les premiers prêtres à séjourner sur l' île seront ceux amenés par Mgr Dalmont dès 1841, des prêtres issus du séminaire de Saint-Esprit de la rue Lhomond et des jésuites. Bientôt il n'y aura plus que les jésuites. Ils attendaient à Nosy Be que leur soit ouverte la route de Antananarivo où régnait encore Ranavalona III, reine qui interdisait l'entrée des étrangers à Madagascar. Bientôt ce sera chose faite et les jésuites pourront s'en aller et laisseront la place aux spiritains en 1879[4].Ainsi donc les préfets apostoliques soit jésuites soit spiritains vont se succéder à la tête de la Préfecture. Cela ne représentera jamais que trois ou quatre prêtres pour la circonscription ecclésiastique.

Quand le Père Raimbault arrive à Nosy Be en 1903, l'île à déjà toute une histoire indépendante du reste de Madagascar. Elle a subi des mouvements nombreux de population. En 1849, l'esclavage est aboli par les français à Nosy Be, d'où révolte des sakalava dont un certain nombre s'en vont à la grande terre[5]. où ils se sentent plus libres que sous l'administration française[6]. Vers 1850, les noirs, nommés makoa, arrivent de la Réunion, d'autres sont importés d'Afrique comme soi-disant engagés[7]. Des européens arrivent aussi pour diriger des concessions. On les accusait d'occuper les meilleures terres[8].

En même temps que se formait l'administration française, se formait aussi une Eglise de Nosy Be dirigée par son préfet apostolique. Ne nous représentons pas un préfet apostolique avec mitre, crosse et soutane de couleur. C'était un simple prêtre qui avait souvent à débattre avec le gouverneur français de l'île. Ce n'est qu'à partir du Droit Canon de 1917, que les Préfets apostolique pourront avoir le costume qu'on a pu leur connaître.

La communauté chrétienne devait avoir des allures très européennes. On peut supposer que les Réunionnais avaient apporté leur coutumes. Mais dès le début les jésuites veulent des prêtres malgaches. Les deux premiers prêtres malgaches de Madagascar au XIXème siècle, sont deux sakalava de Nosy Be, les Pères Venance Manifatra et Basilide Rahidy. Ce dernier célébra sa première messe dans l'église de Hellville, la ville principale de l'île, le jour de son inauguration, le 29 janvier 1870[9]. On ouvre des écoles de garçons et de filles. Dès 1853, arrivent des S_urs de Saint-Joseph ce Cluny. Après l'arrivée des spiritains, un Frère spiritain s'occupera de l'école des garçons. Les Pères organisent les fêtes de première communion et les processions de la Fête-Dieu. Comme en France, il y a plusieurs classes d'enterrement et, comme en France toujours, les bancs de l'église sont loués chaque année, cela à partir de 1901[10]. Et ça marche.

Avec les fréquents changements d'administrateurs français, avec les mouvements de population, les Pères exercent leur ministère le mieux possible. La situation a changé à Nosy Be. D'abord les jésuites qui étaient en attente à Nosy Be sont partis dès que l'accès à Antananarivo a été possible, laissant la place aux spiritains. Madagascar a été occupé par les français en 1895. Les spiritains ont fondé des postes de mission à Fénérive, Diégo-Suarez et Majunga[11] en 1898. Le 29 mai 1901, la Préfecture apostolique des petites îles malgaches est rattachée au vicariat apostolique de Madagascar-nord[12]. Il est important de ne pas oublier que Mgr Corbet[13], l'évêque de ce vicariat apostolique, est aussi préfet apostolique même si cela n'apparaît pas toujours dans les écrits.

Au plan administratif, en 1896, Nosy Be est rattaché à Madagascar[14]. A partir de 1903, a été introduite en France la séparation de l'Eglise et de l'Etat. En conséquence, dès le 1er janvier 1904, toute allocation du gouvernement à la mission est supprimée[15].

Et puis souvenons-nous que Nosy Be est une île. Donc un lieu de passage, où les bateaux arrivent et repartent. Ainsi à la fin de 1904, le Père Raimbault a vu arriver à Nosy Be la flotte de guerre russe de la Baltique. Elle était partie de Saint-Petersbourg en faisant le tour de l'Afrique par Le Cap. Les russes restèrent deux mois et demi à Nosy Be.. Finalement la flotte repartit pour aller se battre contre la flotte japonaise. Elle fut misérablement battue par les japonais à la bataille de Tsoushima. Il n'en resta rien[16].

Le Père Raimbault à Nosy Be.

Voilà donc le jeune Père Raimbault supérieur de la mission de Nosy Be à 28 ans. Avec tous les changements qu'il y a eu, tout est à reprendre en main. C'est déjà une mission avec église, presbytère, école tenue par les Frères Denis et Léon, spiritains, et par les S_urs de Cluny. On compte environ un millier de chrétiens et sept milles non-chrétiens (on disait alors infidèles)[17]. Tout cela, il faut l'entretenir, et aussi faire avancer la mission. Le Père découvre dans les archives de la mission, l'existence d'un terrain de cent hectares qui avait été légué à la mission vingt ans plus tôt. Il en revendique la possession. Après procès à Hellville puis procès en appel à Antananarivo la possession lui en est assurée. La mission possède encore trente hectares à Ampombilava et dix à Nosy-Comba. Voilà des terrains à cultiver qui assureront l'avenir de la mission[18]. Une grande partie de ces terres est occupée par des rizières, mais le Père cultive aussi la vanille, le café et le poivre. Il introduit à Nosy Be des plantes à parfum comme l'ylang-ylang, le vétiver, le palmarosa, la citronnelle ou le patchouli. L'agriculture entraîne toutes sortes d'activités annexes. Il faut construire des aires de séchage pour le café et le poivre. Vers 1923, il y a déjà huit alambics pour la distillation des fleurs d'ylang-ylang.

Avec les nouvelles lois françaises, la mission n'a pu continuer à tenir l'école officielle, elle ouvre donc une école privée avec un certain nombre de difficultés avec l'administration. Les S_urs de Cluny s'occupent de l'école des filles. En 1905, arrive un frère de Saint-Gabriel pour l'école des garçons.

La mission de Nosy Be faisant maintenant partie du vicariat apostolique de Madagascar-nord. Monseigneur Corbet lui donne donc à évangéliser la partie de la grande terre qui est juste à côté, le Sambirano. Il semble bien que les Pères de la mission aient de la peine a s'en occuper. En 1904, Mgr Corbet trouve que "la population indigène a été trop négligée"[19]. Les rapports venus de Nosy Be laissent entendre que le Sambirano n'est guère visité par les Pères. Ils disent qu'ils ne sont pas assez nombreux. Il semble n'y aller au plus que deux fois par ans.

La situation économique de Nosy Be est en hausse, non seulemnent pour la mission. Une sucrerie est installée Cela amène un accroissement et une diversification de la population, européens, réunionnais et malgaches. Cette situation nécessite un ministère délicat et difficile. Les catéchismes d'adultes donnent satisfaction[20]. Les écoles prospèrent[21]. On construit une nouvelle école pour les garçons avec trois classes et on améliore celle des filles."D'ailleurs le Père Raimbault parle la langue indigène d'une façon très convenable. Avant lui aucun Père de Nosy Be n'avait parlé le malgache.[22]" Dans cette situation de prospérité il est souvent question des heurs et malheurs des plantations et des cultures. Cela fait partie de la vie quotidienne. Mais tout de même, il faut savoir garder un équilibre. En 1905, un visiteur de la congrégation peut écrire du P. Raimbault : "Il s'occupe de tout et devient trop exclusif et absolu"

Le 25 juillet 1914, meurt à Antsiranana, Mgr Corbet. Il faisait partie du groupe des spiritains arrivé sur la grande terre en 1898. C'est un autre spiritain de ce premier groupe qui lui succède comme vicaire apostolique de Madagascar-nord, Mgr. Fortineau[23].Il prend comme vicaire général le Père Paul Pichot, arrivé à Madagascar en 1900.

Le vicariat apostolique de Madagascar-nord devenait de plus en plus important. Le temps était fini où l'Eglise de Nosy Be se dressait face à une grande terre encore peu connue. Les missions s'étaient multipliées. Dès la fin de la guerre de 1914-18, on pensa diviser en deux ce grand territoire. Ainsi fut fondé en 1923, le vicariat apostolique de Majunga. Mgr Paul Pichot[24] en devint le premier évêque. Le nouveau vicariat apostolique de Diégo-Suarez incluait le Sambirano, cette partie de la grande terre qui était confiée à la mission de Nosy Be. Et que devient alors la préfecture apostolique des petites îles malgaches ? Il semble qu'il y ait eu discussion entre les évêques à ce sujet. Finalement Nosy Be et Mayotte furent confiés au vicaire apostolique de Majunga. Les deux évêques firent une convention entre eux. Le territoire du Sambirano qui faisait d'ailleurs partie du territoire civil de Nosy Be était confié par Mgr Fortineau à Mgr Pichot. Il était plus facile aux Pères de Nosy Be de visiter cette portion de territoire.

Dès 1922, le Père Raimbault, en séjour en France, jette les bases d'une Société des Plantes à parfum de Madagascar, la SPPM. Cette société existe encore aujourd'hui sous ces initiales, même si les propriétaires ont souvent changé depuis ce temps-là. Il paraît même que la société gérée par des Indiens musulmans aurait gardé très longtemps comme logo l'image du Saint-Esprit de la Congrégation[25]. L'Eglise catholique n'avait pas de personnalité morale à l'époque et ce changement donnait une sûreté plus grande pour les propriétés de la mission.

Dès septembre 1927, la situation change. La situation devient tendue entre les évêques de Diégo-Suarez et de Majunga. Mgr Fortineau décide de reprendre sa juridiction sur le territoire du Sambirano, région visitée par les Pères de Nosy Be qui dépendaient de Majunga. Cela va très loin. En 1931, Mgr Fortineau demande à Mgr Pichot de faire passer par Nosy Be des Pères de son vicariat pour aller faire du ministère au Sambirano. Mgr Pichot refuse, il n'y a qu'à envoyer des Pères de Nosy Be[26]. Que ce passe-t-il ?

La pomme de discorde dans tout cela, c'est l'île de Nosy Be. Le problème se trouve dans le caractère des personnages de ce drame, pour ne pas dire de ce mélodrame. Il y a d'abord les deux évêques de Majunga et de Diégo-Suarez. Leur caractère apparaît à travers les rapports que le Père Rémy, visiteur envoyé par la congrégation du Saint-Esprit, envoie à son supérieur général[27]. Devant le visiteur, l'évêque de Majunga se tient dans une grande réserve. Le Père Rémy n'en entendra pas grand chose. Mgr Fortineau semble plus prolixe sur les sommes versées et ses demandes à la Maison-Mère des spiritains. Mais par contre si Mgr Pichot y fait allusion dans chacune de ses lettres au supérieur général, Mgr Fortineau par contre écrit peu sur le sujet et n'en pense pas moins.

Le troisième personnage est le Père Raimbault, le directeur de la mission de Nosy Be. Le Père Rémy est assez dur à son égard. Citons au moins cette phrase : "Etant créateur de cette _uvre, il prétend devoir être seul à la conduire[28]." Il faut chercher à le comprendre. En 1903, à son arrivée, on lui a confié un poste déjà ancien, de plus de 60 ans. La séparation des Eglises et de l'Etat le forçait à trouver de nouvelles sources de financement. Il a réussi. Cette vieille Eglise de Nosy Be a pu prospérer grâce à lui. Le manque de prêtres l'a empêché de faire tout ce qu'il y avait à faire surtout dans la grande terre, dans le Sambirano. Mais on peut penser qu'il a préparé le terrain pour ceux qui viendraient après lui. Certains supérieurs avait une autre raison de se méfier du Père Raimbault. C'était une question de droit canon. Le Père n'avait jamais demandé à faire ses v_ux perpétuels dans la congrégation. Il renouvelait ses v_ux tous les cinq ans, ce qui était absolument son droit. Cela pouvait se faire avant la promulgation droit canon de 1917. Donc ayant fait sa profession religieuse avant cette date, il avait pu rester dans le système ancien. D'où la méfiance de certains qui pensaient qu'il ne voulait pas s'engager.

Donc nos deux évêques discutaient beaucoup à cause des bénéfices de Nosy Be. D'après le Père Raimbault, les premières grandes récoltes datent de 1925[29].On comprend par là que la division du vicariat apostolique en 1923 n'aie pas fait de vagues. Dans les années suivantes, Nosy Be devint donc intéressant financièrement parlant. Mgr Fortineau revient alors sur les discussions qui eurent lieu lors de la remise de la Préfecture apostolique à Mgr Pichot en 1923. Pour lui, au début, la meilleure solution aurait été de donner Nosy Be à Diégo-Suarez et les Comores à Majunga[30]. Et ainsi il peut écrire au P. Raimbault en 1928 : "Ce n'est certes pas moi qui ai demandé à ce que vous passiez à Majunga. La Propagande elle-même a conseillé à votre vicaire apostolique de me céder juridiction sur Nosy Be[31]".Inutile de faire l'histoire de toutes les discussions souvent peu amènes qui eurent lieu. Un fait est sûr, chaque évêque connaissait trop bien le domaine de l'autre. Mgr Pichot n'avait pas été seulement vicaire général de Diégo-Suarez, mais aussi pendant de longues années procureur de cette circonscription. Majunga avait été gouverné par Mgr Fortineau de 1914 à 1923. On peut dire qu'ils se connaissaient trop bien et connaissaient trop bien le territoire de l'autre.

Au bout de quelque temps, il semble que toutes ces discussions soient sorties du stricte domaine des évêques. Des bruits se mettaient à circuler chez des gens plus ou moins bien intentionnés, semble-t-il. Cela avait été jusqu'à Rome. Le Cardinal van Rossum, le préfet de la Propaganda fide, le service de Rome qui s'occupe des Missions, aurait reçu une lettre du Sambirano et en aurait fait part à Mgr Fortineau : "Quidam catholici teritorii vulgo Sambirano nuncupati_[32]"

Des services de Rome, parlons-en. Mgr Pichot et Mgr Fortineau sont en relations suivies avec les instances de Rome. En allant au chapitre de la congrégation, Mgr. Pichot fait un passage à Rome. Mgr Fortineau leur écrit et en reçoit réponse comme on l'a vu plus haut. Et il est certain que la Propaganda fide n'avait pas oublié la préfecture des petites îles malgaches. L'évêque qui s'en occupait recevait chaque année l'aide de l'Oeuvre de la Propagation de la foi destinée à cette circonscription. Dans la période qui nous concerne cet argent restait dans les caisses de l'évêque de Majunga. Et c'était là un nouveau sujet de discussion.

On ne peut être étonné que Rome, vue la tournure que prenaient les choses, ait décidé de faire revivre la Préfecture des petites îles malgaches. Nos deux évêques d'ailleurs n'y étaient pas opposés. Mgr Pichot voyait cela dans un temps un peu lontain. "Pour y arriver, dit-il en 1928, il nous faut mettre encore quelques stations debout, et achever l'organisation actuelle, ce qui nous demandera encore quelques années"[33].Mgr Fortineau y est tout à fait favorable dans une lettre adressée en 1931 au Cardinal Van Rossum[34].

Par une Lettre Apostolique du 11 février 1932, signée E. Card. Pacelli, le futur pape Pie XII, la Préfecture apostolique de Nosy Be et des Comores est rétablie en y adjoignant le Sambirano. Elle est confiée aux capucins d'Alsace. Rome avait émis là un jugement de Salomon. Les différents partis concernés par l'affaire, la congrégation du Saint-Esprit et les vicariats apostoliques s'en étonnèrent beaucoup. Mais on peut penser que c'était la meilleur solution, étant donné tous les bruits qui commençaient déjà à se répandre.

Dans toutes ces man_uvres, le grand oublié était le Père Raimbault lui-même. On parle de Nosy Be, des bénéfices venant des plantes à parfum. Mais on oublie celui qui est à la source de tout cela. C'est pourtant bien lui qui a tiré partie de la situation dont il avait hérité en 1903. C'est son travail qui avait permis à la mission de Nosy Be d'évoluer pour devenir ce qu'elle était à la fin des années vingt. Ceux qui le reconnurent le mieux sont les habitants de Nosy Be eux-mêmes. D'ailleurs le départ forcé du P. Raimbault, remplacé par les capucins, donna lieu à une séance spéciale de la "Chambre de Commerce de Nosy Be"[35]. Le procès-verbal serait à citer entièrement. "L'_uvre de ce missionnaire est particulièrement remarquable et l'on peut affirmer qu'elle marquera dans l'histoire de Nosy Be. Son activité, son autorité et sa maîtrise se sont affirmées dans tous les domaines". Le compte-rendu va plus loin, en dehors de la sphère du commerce proprement dit. "Charitable, il aide discrètement toutes les misères. Instruit des choses de la médecine, il met ses connaissances et son dévouement à la disposition de tous, et particulièrement des pauvres. Pitoyable aux déshérités il se consacre au traitement des lépreux". La chambre de commerce sait ainsi mettre en valeur tout l'éventail des connaissances du Père. Pour finir, elle émet le v_u "que la Croix de la Légion d'honneur lui soit décernée pour services exceptionnels rendus à Madagascar".

En 1934, en effet, la Croix de la Légion d'honneur lui fut attribuée au titre du ministère des colonies. C'est Monseigneur Le Roy, l'ancien supérieur de la congrégation du Saint-Esprit qui l'a lui remis. Annonçant la nouvelle en première page, le journal "La Dépêche coloniale" pouvait dire . "La prospérité de Nosy Be est en effet en grande partie due à l'activité du P. Raimbault[36]". La même année,, la municipalité de Hellville donnait son nom à une rue de la ville.

Le Père Raimbault à La Réunion.

En 1932, il faut que le Père Raimbault quitte Nosy Be pour laisser la place à ses successeurs. On peut comprendre quelle était la souffrance du Père en quittant cette île où il avait travaillé pendant 29 ans avec les magnifiques résultats que l'on connaît. Son biographe, le Père Nantas a écrit de lui : "La nostalgie de sa mission ne le quitta qu'avec son dernier souffle".[37]D'après lui, l'évêque de la Guadeloupe, le Père Brottier, directeur de l'_uvre d'Auteuil lui auraient fait des propositions. Mgr de Beaumont, évêque de la Réunion, lui offrit une place dans son diocèse. Mais il mourut le 23 juillet 1934. Son successeur, Mgr François de Langavant, confirma la demande de son prédécesseur. Ils quittèrent donc ensemble Marseille le 4 juillet 1935[38]pour rejoindre l'île de la Réunion. Le bateau fit escale à Nosibe ce qui fut une occasion de fête pour tous les habitants de l'île.

A la Réunion, la paroisse Saint-Bernard.
A l'île de la Réunion, Mgr de Langavant proposa au Père Raimbault la paroisse de Saint-Bernard. Elle se trouve dans la ville de Saint-Denis, mais un peu à l'écart sur la partie la plus haute de la ville. Jusqu'à l'année 1897, cette paroisse avait été confiée aux Spiritains. Elles avaient vu passer quelques Pères de renom comme le Père Horner[39] qui fut dans les commencements de l'évangélisation en Afrique orientale, et le Père Amet Limbour[40] qui fonda à Beauvais, l'_uvre des petits clercs (plus connus plus tard dans l'_uvre d'Allex).

La paroisse Saint-Bernard est située dans un lieu très exposé aux cyclone. C'est ce qui apparaît à travers tous les rapports concernant cette _uvre. Et cela signifie beaucoup de destructions et de reconstructions. Avant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la paroisse y tenait une école primaire. Mais le plus important se situait à quelques minutes de la cure, la léproserie.

Le Père Raimbault à Saint-Bernard. Il a déjà été question du Père Raimbault qui venait au secours des malheureux et des malades sur l'île de Nosy Be. Arrivé à la Réunion, le Père Raimbault prit en charge cette paroisse de Saint-Bernard. Il put ainsi venir en aide aux malades et aux plus pauvres, mais surtout. aux lépreux. De la léproserie, il s'en occupera spécialement pendant tout son séjour dans l'île.

Le Père Raimbault et la médecine.

Dans cette paroisse de Saint-Bernard, le Père put développer ses talents. Il étudia les plantes médicinales de l'île et essaya de venir plus spécialement à l'aide aux lépreux. Ses recherches ont donné un livre "Les plantes médicinale de l'île de la Réunion", plusieurs fois réédité. On trouve de lui des échanges de lettres avec les médecins de la Réunion. Mais il correspondait plus particulièrement avec Monsieur le professeur Jeanson, chef du laboratoire du Pavillon de Malte à l'hôpital Saint-Louis, à Paris[41]. Il y était question de remèdes contre la lèpre et plus particulièrement d'une plante que le Père avait découverte à la Réunion, "le bois corbeau", et dont il avait extrait une huile qui aurait donné des résultats intéressants. Cela laisse entendre que le Père s'était monté un laboratoire à Saint-Bernard. Une relation s'établit avec le Cameroun où un planteur, Monsieur Drotz, essaya avec succès la culture de cette plante. Cela se passait au début de la guerre en 1939. On consultait le Père Raimbault de toutes les parties de l'île. Il échangeait aussi une volumineuse correspondance avec le reste du monde. Ainsi son action, dépassait le cadre de sa paroisse et de la léproserie de Saint-Bernard.

La guerre de 1939-1945 le coupa de ces relations en dehors de la Réunion. Et puis il eut à subir les cyclones qui détruisirent plusieurs fois son _uvre, surtout ceux de 1944 et 1948. En 1944, d'après le Père Nantas[42], "le vent le prit au milieu du salon de sa maison et l'emporta dans le jardin, à cinquante mètres en contre-bas". A chaque fois, c'est ses papiers et son laboratoire qui sont ravagés. Un nouveau cyclone détruit tout en 1948. De cette dernière secousse il ne se remettra pas. On lui conseille de prendre un congé et de rentrer en France. Mais il faut d'abord qu'il termine des traitements commencés. Il ne les terminera jamais, il meurt le 12 novembre 1949. Pendant 14 ans, il avait travaillé à la Réunion auprès des plus pauvres. Son corps fut descendu le dimanche 13 novembre à la Cathédrale où une absoute fut donnée, puis remonté à Saint-Bernard où il fut conduit au cimetière après une nouvelle absoute[43].

En conclusion.
Pour ceux qui ont simplement entendu parler du Père Clément Raimbault. C'est un personnage qui semble impliqué dans bien des histoires. Le Père Raimbault pour certains, c'est l'affaire de Nosy Be, une drôle d'histoire qui force le Vatican à intervenir pour mettre les choses en ordre. Mais cette affaire de Nosy Be, ce n'est pas l'affaire du Père Raimbault, mais plutôt de ceux qui tournaient autour de lui. Le Père Raimbault a fait la fortune de cette île en y introduisant les plantes à parfum, en y organisant les cultures. C'est tout ce que l'histoire doit retenir de lui. Dans son séjour à la Réunion, il va pouvoir se donner entièrement aux malades et au déshérités. C'est là le plus important à retenir de lui. C'est là la grandeur de ce prêtre qui a donné sa vie pour une _uvre.
Joseph CARRARD cssp

Le Père Clément RAIMBAULT, 1875-1949

Le Père Raimbault est né le 29 janvier 1875 à Henrichemont, à une quarantaine de kilomètres au nord de Bourges. Un ancien pavillon de chasse du roi Henri IV est à l'origine de cette bourgade, d'où son nom d'Henrichemont.

De milieu familial foncièrement chrétien, Clément avait deux s_urs, dont une religieuse et un frère cadet, Joseph, prêtre du diocèse. Sa famille se souvenait avec fierté qu'une ancêtre, une de Ronderath, béguine de Bruges ou de Gand, était morte en odeur de sainteté, et sa mémoire restée en vénération en Belgique.

Le jeune Clément fit ses classes primaires chez les Frères des Écoles chrétiennes de son village natal, et ses humanités au collège de Bourges. Il prépara ensuite une licence de sciences, durant laquelle il fit partie d'une mission officielle française pour explorer le centre afrique, du Niger au Congo. Au terme du voyage, il arriva à la Mission catholique de la Sainte Famille sur les rives de l'Oubangui, premier contact avec les spiritains. Après son service militaire à Cosne en 1896-97, il entra, sur le conseil de son directeur au grand séminaire pour étudier sa vocation. Ordonné prêtre à Bourges le 29 juin 1901, il entra à Chevilly le 4 novembre suivant et fit profession à la fin de son noviciat à Orly le 8 février 1903. Son premier champ d'apostolat sera l'île de Nossi-Bé, au nord de Madagascar. La mission d'Helleville, capitale de l'île, était encore à l'état d'embryon, quand le jeune Père en fut nommé supérieur en 1904. Grâce à son esprit d'initiative, à sa prudence et à sa ténacité, il se mit à l'organiser sur des fondements solides.

Écoles, orphelinat, maison de retraite pour les vieillards, dispensaires, sanatorium, presbytère furent méthodiquement créés par l'inlassable missionnaire, qui à ces travaux matériels ajouta des recherches sur le traitement de la lèpre qui retinrent l'attention des savants de la métropole.

Pour assurer la subsistance du personnel de la mission, le Père Raimbault n'hésita pas à devenir "planteur". Après des études et des expériences diverses, il propagea la culture du café, du poivre, de la vanille, et des plantes à parfum (l'ylang-ylang tout spécialement). Il monta des distilleries, organisa l'exportation de ses produits, et devint la providence du pays.

Après trente années de labeur et de difficultés surmontées, il voyait son oeuvre, religieuse et matérielle, solidement établie. Il pouvait, semble-t-il, parfaire son ouvrage dans une tranquillité et une sécurité relative, en un mot, jouir du fruit de son travail. C'est alors que la direction romaine de la Propagande de la Foi décida de confier cette mission à une autre congrégation missionnaire, susceptible d'assurer un personnel plus nombreux. A la demande de ses supérieurs, le P. Raimbault accepta le sacrifice demandé, par esprit d'obéissance, mais la douleur de cette séparation ne le quitta pas.

Après un congé en France et en famille, il répondit, en 1935, à l'appel que lui lançait l'évêque de la Réunion. Mgr de Langavant lui laissa le choix de sa paroisse. Sans hésitation il demanda la plus abandonnée, la paroisse de Saint-Bernard, où il savait y trouver les êtres les plus dignes de sa pitié et de ses soins : les pauvres lépreux.

Pour eux et pour les autres malades, il étudia les plantes médicinales de la Réunion et la manière de les utiliser en ces années de guerre mondiale. Levé le plus souvent à quatre heures du matin, il consacrait les premières heures de la journée à ses devoirs personnels de religieux et de prêtre. Il donnait tout le reste de son temps à l'exercice de la charité envers les malades et les malheureux. Le soir venu, il veillait jusqu'au milieu de la nuit, pour assurer les réponses a une volumineuse correspondance, qui lui venait de presque toutes les parties du monde.

Durant ses dernières années, il eut à subir deux cyclones particulièrement violents. En 1944, le vent le prit au milieu du salon de sa maison et l'emporta dans le jardin, à cinquante mètres en contre-bas. Ayant perdu connaissance, il se réveilla, vers trois heures du matin. Les vêtements trempés, couverts de boue, il se traîna sur les mains et les genoux jusqu'à sa maison dont la toiture avait été enlevée par l'ouragan. En 1948, il sortit en pleine tempête, craignant que le plafond de son salon ne lui tombe sur la tête. Le vent une fois encore se saisit de lui ; pour y résister il étreignit une statue de pierre, mais ils roulèrent ensemble dans la boue. Le lendemain, il constata que le choc lui avait enfoncé une côte. Il ne se remettra plus complètement de ce dernier accident.

Ses supérieurs et ses amis lui conseillèrent de se reposer en France et d'y refaire ses forces. Il voulut tout d'abord achever certains travaux ... et au moment où il était décidé à partir, la mort le surprit subitement, à l'occasion d'une dernière défaillance d'un c_ur surme­né par une vie si intensément active. A l'aube du 12 novembre 1949, la paroisse Saint-Bernard apprenait la fatale nouvelle. Après quatorze années sur la terre de la Réunion, le corps du P. Raimault lui a été confié. Il avait 74 ans. (résumé du Panégyrique du P. Nantas)

_________________________________ [1] D'après les statistiques officielles de la Congrégation : Né le 9/01/1875 à Henrichemont (Diocèse de Bourges 18) ; 1° v_ux le 08/02/1903 à Grignon ; Diacre le 29/06/1900 à Grignon ; Prêtre le 29/06/1901 à Grignon ; Décédé à St Denis Réunion le 12/11/1949 à l'âge de 74 ans, et 46 ans de Profession .
[2] Ces notes sur la vie du P. Raimbault sont tirées du livret "Le P. Raimbault et les plantes médicinales de La Réunion" par le P. Nantas
[3] Bulletin général cssp. (B.G. cssp) T22, p.155. P. Jean-Marie Audren 1842-1907. Il est décédé à Langonnet.
[4] Boudou, s.j. Les Jésuites à Madagascar au XIXème siècle par.. T.II p.204 sq.
[5] Boudou op. cit. T I p. 212
[6] Boudou op.cit. T II p. 184
[7] Boudou op.cit. T I p. 317. C'était une sorte d'esclavage déguisé.
[8] Boudou op.cit. TI p.184
[9] B.G. T.24. p. 601
[10] B.G. cssp T.22 p. 155 sq. Ce compte-rendu nous décrit la situation de Nossi Be à l'arrivée du P. Raimbault.
[11] Ces trois lieux se nommaient aujourd'hui : Fenoarivo, Antsiranana et Mahajanga.
[12] B.G. cssp T. 21. p.139. Décret de la S.C. de la Propagande confiant Mayotte et Nosy Be aux soins du vicaire apostolique de Madagascar-nord.
[13] Mgr Corbet était âgé de 78 ans. Il a exercé son ministère à Madagascar de 1898 à 1914.
[14] B.G. cssp T 19 p. 236. Compte-rendu de la communauté spiritaine de Hellville, 1895-1898.
[15] B.G. cssp T 23 p. 410. Compte-rendu de la communauté spiritaine de Hellville, décembre 1905
[16] Mortages Anecdotes et souvenirs vécus 1994 Le Lampyre Etonné, Paris
[17] B.G. cssp T 22 p. 155. Compte-rendu de la communauté spiritaine de Hellville, 1901-1902
[18] B.G. cssp T 23 p. 410. Compte-rendu de la communauté spiritaine de Hellville d'après la correspondance sur l'_uvre de Nosy Be.
[19] B.G. cssp T 22 p. 158
[20] B.G. cssp T 26 p.146. Compte-rendu de la communauté spiritaine de Hellville, 1911.
[21] B.G. cssp T 31 p.510
[22] Arch. Gén. Cssp 243-B-IV. Compte-rendu de visite provincial. 1905.
[23] Mgr Fortineau décédé en 1948 à 78 ans, était le plus jeune du groupe des spiritains arrivé en 1898. Il a été vicaire apostolique à Diégo-Suarez de 1914 à 1946.
[24] Mgr. Pichot, (1874-1954) a été vicaire apostolique de Majunga de 1923 à 1940.
[25] Souvenir de l'auteur à qui on avait certifié la chose.
[26] Arch.cssp.247-A-II. Lettre de Mgr Pichot
[27] Arch cssp. 244-A-II. Rapport du Père Rémy à la maison-mère, 1926-1927.
[28] Arch.cssp. 246-A-IV Rapport du Père Rémy. 1926
[29] Arch. cssp, Dossier Raimbault. Lettres au Supérieur général, 21 février 1929.
[30] Arch. cssp 2M1.8.2 Note de Mgr Fortineau au sujet de Nosy Be, 8 septembre 1929.
[31] Arch. cssp 2D62.2b4 lettre de Mgr Fortineau au P. Raimbault, 29 mars 1928.
[32] Arch, cssp. 245-A-III Lettre du Mgr Fortineau au supérieur général. 16 juin 1929.
[33] Arch cssp 247-A-I. Lettre de Mgr Pichot au supérieur général, 3 décembre 1928.
[34] Arch.cssp 2D62.2b4 Lettre de Mgr Fortineau au Cardinal Van Rossum, 28 mars 1931.
[35] Arch.cssp 2D62.3a2. Chambre de commerce de Nosy Be, Procès-verbal de la séance du 16 avril 1932.
[36] La dépêche coloniale, 24 et 25 janvier 1934
[37] P. Nantas, op.cit. p.8
[38] B.G. cssp T 37 p. 255
[39] P. Antoine Horner. 1827-1880
[40] P. Amet Limbour 1841-1915
[41] Le Cameroun Catholique, supplément au N°11, 15 mars 1945.
[42] P. Nantas. op.cit.. P.9
[43] Bulletin provincial de la Province de France des spiritains, 11ème année N°47.

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