Le P. Émile RIEDLINGER
1869-1950


Le P. Émile Riedlinger est, mort à Courbevoie (Seine), le 29 septembre 1950, à l’âge de 81 ans, après une vie bien rem­plie. Ses études achevées et son noviciat fini par la profession religieuse (10 août 1893), il fut successivement missionnaire en Cimbébasie (1893 à 1903), attaché à la Province du Portu­gal (1904-1910), membre de la Communauté de Neufgrange (1911-1919), conseiller général (1919-1933), chapelain des Violettes à Courbevoie (1928-19-50). Jusqu'à sa dernière heure il a travaillé avec ardeur malgré sa santé fort déficiente; le travail fut toujours dans la ligne de son devoir, selon les fonctions qui lui étaient présentement confiées, sans s'en laisser détourner par des occupations de son choix : il est appelé à Dieu après cinquante-sept ans de bons services dans la Congrégation.

Il naquit, le 12 février 1869 à Rantzwiller (Haut-Rhin), fit ses classes primaires à l'école du village et entra au Petit Scolasticat de Cellule le 10 octobre 1884 à 15 ans. On le mit en quatrième, grâce aux éléments de latin qu'il avait appris chez son curé. Le premier acclimatement, dans ce milieu tout nouveau, fut dur. Dans ses vieux jours, le Père prenait plaisir à raconter qu'une fois il prit la fuite par le canal voûté où coulait le ruisseau; l'air de la liberté le dégrisa : il n'avait pas un sou pour aller plus loin; il rentra donc et se remit dans le rang. Une seconde fois, ses parents lui ayant payé une clarinette, il voulut, pour regagner l'Alsace, monnayer l'instrument. Bien vite il s'aperçut que, parmi les gens de Cellule, pareil objet n'était pas de commerce courant; et tout bonnement il réintégra le domicile, la clarinette sous la veste. Désormais il resta en paix : l’oiseau se fit à la cage.

Il arriva avec de bonnes notes de son curé : « Jeune homme exemplaire, de conduite irréprochable et doué de beaucoup de moyens., restait, disait le prêtre, à polir la surface, ce qui se fit avec le temps. Par ailleurs le jeune élève progressa, il est vite classé parmi les bons élèves, surtout parmi les bons enfants. On lui reproche d'être un peu léger, un peu causeur; spontanéité débridée, gaîté expansive, : chez lui c'étaient, là deux qualités comme chez d'autres elles sont parfois des défauts, parce qu'elles procédaient d'une nature très docile et très sincère et, qu'il les tempérait par un grand sens pratique, grâce auquel il se reprenait très vite, s’iI s'était laissé entraîner trop loin : sa santé n’était pas très robuste; il se fatiguait. vite, il ne savait pas d'ailleurs se donner à moitié au jeu comme au travail de classe.

Il fit, ses études sans incident fâcheux, Études secondaires à Cellule : le P. Grès, préfet des scolastiques, résume les inipressions du dernier trimestre de rhétorique de son élève par ce seul mot , qu'il nous laisse la liberté, d'interpréter à notre guise « tête de musicien »; études ecclésiastiques à Chevilly sous le P. Kraemer et sous le P. Gerrer. Il retrouva le P. Gerrer auNoviciat de Grignon.

Ils étaient trente-sept novices il faire profession le 15 août 1893; sur ce nombre, après cinquante-sept, ans le P. Riedlinger, n'en laisse plus qu’un seul à lui survivre. Le 21 novembre suivant,, il s'embarquait à Lisbonne pour la Cimbébasie. Il en revint pour n'y plus retourner en décembre 1903.

La partie de Cimbébasie qui échut, au nouveau missionnaire est aujourd'hui dans le diocèse de Nova-Lisboa. Le préfet apostolique était le P Ernest Lecomte qui venait de succéder au P. Schaller depuis un an : le P. Riedlinger ne pouvait trouver meilleur maître. La Mission, quoique de fondaton récente, était en plein développement. La marche en avant s'imposait; il fallait gagner du terrain pour devancer les protestants autant que pour répondre aux désirs des autorités portugaises. Le P. Schaller s'y était employé; il s'y était usé prématurément. Le P. Lecomte continua cette oeuvre; il y tint dix-sept, ans.

Dans l'extension de nos Missions à cette époque, les progrès de la Cimbébasie sont presque de même ordre que ceux dc l'Oubangui dans les premiers temps de l'épiscopat de Mgr Au­gouard. Mgr Augouard occupe les postes de commande le long de ses fleuves pour s'assurer le terrain; en Cimbébasie les stations rayonnent en cercle à des distances d'ailleurs considérables, de facon à se soutenir l'une l'autre. Au centre était Caconda où le P. Biedlinger demeura. Il assista de loin à la conqu~te pacifique du pays; il la suivit de toute son attention et la servit de son mieux en pratiquant avec fidé­lité, dans son secteur, les consignes imposées par son chef. Étude des langues indigènes d'abord. Le P. Lecomte était inlassable à produire des ouvrages on langue du pays; le P. Riedlinger s'y mit résolument, Il ne se donna jamais comme linguiste, déjà il savait, le portugais avec le français et l’allemand; il apprit le mbundt , et plus tard il étudia l’anglais.

Ce mélange des langues lui laissa la mauvaise habitude de s'arrêter dans sa conversation à chercher son mot, et dans l'impatience de ne pas le trouver de suite, à se servir d'une expression sans signification précise, banale, qui laissait tout, deviner à son interlocuteur.

Après la langue, l'administration de la station : il se prêta aux innovations de son chef et les fit réussir : formation de catéchistes originaires du pays rnême, fondation d'écoles de village dans un large espace autour de la résidence principale; et substitution, aux orphelinats d'enfants rachetés de l’esclavage, d’écoles réservées aux enfants et aux jeunes gens de naissance libre. Ces réformes entraient dans les vues de Mgr Le. Roy, devenu supérieur général (1896). Le P. Lecomte, sur cette direction et d'après sa propre expé­rience, les adopta franchement. Le Père Riedlinger les appliqua avec joie et bien vite à même d’en apprécier les avantages.

Chez lui ce n’était pas simple esprit d’obéissance ou d’imitation ; il était ennemi de la routine et, était capable de toutes audaces quand il voyait une plus haute perfection à atteindre.

Ces initiatives lui réussirent ; son exemple fut contagieux et toute la préfecture le suivit bientôt et profita de ses procédés nouveaux, car c'est lui qui les tenta le premier dans la rêgion.

Nous ne pouvons omettre ici de dire l'admiration qu’iI avait, voué à son préfet apostolique : nous en avons un témoin dans la notice qu'il consacra à la mémoire de celui-ci, en 1909, alors qu'il vivait loin de Cimbébasie et saris espoir d'y rentrer. Il y raconte les fastes de la Mission sous la direction du P. Duparquet (1879-1887), du P. Schaller (1887­1891), enfin du P. Lecomte (1891-190S), il indique avec soin les étapes de la marche en avant; ce que nous y remar­quons de plus caractéristique et qui va le, mieux à notre sujet, c'est le portrait du P. Riedlinger lui-même, tel qu'il se montra dès le début de sa carrière, tel qu'on le vit jusqu'au bout. « Sans doute, les confrères du P. Lecomte ont leur part dans le résultat obtenu, mais l’esprit surnaturel qui avait soufflé sur toute la Mission qu’il avait, su communiquer à tous les siens, avait tout inspiré... Une chose qui a bien servi le missionnaire et le supérieur dans son ministère, c'est un dévouement extrême, joint à une rare prudence et à une bonté toujours appréciée. Quelques-uns peut-être, en le voyant parfois modifier ses idées ou différer ses projets, pourront le taxer d'inconstance, voire même de fai­blesse; mais pour ceux qui le connaissent rnieux, ils devint bien vite le motif de sa conduite : tirer parti de tous, en froissant le moins possible, en attendant l'heure de Dieu et en payant de sa personne... Dans ses relations avec le dehors, toujours en maintenant son droit et celui des oeuvres, Il a su se concilier l'estime et la bienveillance de tous... »

Ainsi avons-nous connu le P. Riedlinger dans les trente dernières années de sa vie : influence discrète mais profonde sur tout son entourage, don de soi qui sert d'exemple à tous et qui entraîne les hésitants, patience, malgré un caractère qui supporte mal les atermoiements, entrain que rien ne lasse, persévérance que rien n'abat, habileté à mettre à profit les retards, les échecs, à d'adapter aux circonstances contraires avec une confiance sans borne dans la divine Providence,

Aussi à la place du P. Lecomte, Le Roy songea-t-il à proposer le P. Riedlinger comme préfet apostolique de la Cimbébasie. Seul le mauvais état de la santé du Père fit échouer ce projet.

Mais le P. Lecomte, en vertu de sa charge de préfet, était toujours en course soit pour fonder de nouvelles stations, soit pour soutenir celles qu’il avait établies; le P. Riedlinger au contraire était confiné dans sa résidence de Caconda sous la conduite immédiate du P. Lecomte d'abord, puis du P. Gcepp; il devint lui-même supérieur en 1899.

La station de Caconda avait été fondée en 1890 ; elle avaitdonc trois années d’existence quand y arriva le Père; elle avait subi de rudes épreuves qu'elle surimonta si bien que bientôt elle fut cotée par le Gouverinement portugais comme un des centres de rayonnement, les mieux assis, quoiqu'elle fût encore à la période des essais.

Le P. Riedlinger fut chargé de l'école, du collège, comme l'on disait, et de l'orphelinat, Le collège reeevait les libres, l'orphelinat gardait les jeunes esclaves rachetés. Les premiers seuls étaient vraiment intéressants parce qui’ils étaient l'espoir de la Mission; parmi eux on voyait déjà poindre des catéchistes qui, rentrés dans leur village, deviendraient de précieux auxiliaires pour la diffusion de la religion. Auparavant il fallait les discipliner et les astreindre au travail manuel pour lequel ils avaient peu de goût. Le Père secoua leur indolence et tira d'eux un très bon parti. Les esclaves de naissance au contraire manquaient d'énergie; ils savaient mal la langue de la station qui n'était pas leur langue mater­nelle et ne donnaient souvent que de piètres résultats : devenu supérieur, le Père les laissa tomber pour se donner plus ample­ment aux libres.

Directeur du collège, le Père avait des vacances; il en profitait pour faire aux, alentours dés tournées de ministère qui furent très heureuscs : le pays tout entier s’éveillait des torpeurs de ses superstitions et se prêtait à l'action des mission­naires. En même temps on bâtissait chapelle, magasin, etc. Chacun y mettait du sien et le supérieur qui aimait ces travaux matériels, prenait volontiers, entre deux classes ou deux séances de ministère, le tablier de maçon et la truelle pour élever le temple matériel, en diversion aux soins du temple spirituel.

Tout inarchait à souhait. La station avait reçu en conces­sion 6.000 hectares de terrains de première qualité; « le blé y vient à merveille, écrivait-on; nous faisons tous les ans un gros tonneau de choucroute et plus de quatre-vingts sacs de pommes de terre ont été recueillis en 1899; le maïs et les haricots, qui constituent la nourriture des enfants, ne demandent qu'à être plantés pour rendre cent, pour un ».

Cependant la petite vérole dévastait le pays; la Mission, grâce, au vaccin, évita le fléau; un autre mal, l'alcoolisme, faisait des ravages; l'alambic, écrit-on, est une pièce classique dans l'ameublement de chaque case; tous en usent, sauf pourtant dans les villages chrétiens, car on n'y est admis qu'à condition de renoncer à l'alcool. Malgré, ces quelques ennuis le Père reste très attaché à Caconda; en 1900 il déclare tout net, qu'il n'éprouve qu'un seul attrait, demeurer dans sa Mission.

En mars 1902 il revint, en Europe en congé ordinaire. On ne s'étonnera pas qu'il ait été bien accueilli de Mgr Le Roy dont il suivait, fidèlement, les directives, alors que d'autres ne s'y décidaient pas. Puis il se reposa en Alsace, fit connaître son champ de travail et quêta des ressources. Après six mois il se dit assez dispos pour rejoindre son poste et, s'embarque pour l'Angola, à Lisbonne le 2(~ octobre 1902.

Cette fois soit séjour en Cimébasie ne fut que dé deux ans. A peine arrivé il tomba très gravement malade; on pensa nième le perdre, et sa guérison fut due à une intervention spéciale de Notre-Dame de Lourdes, mais il ne se remit jamais entièrement de cette rude secousse. Il était un mauvais malade, qui acceptait mal l'inaction au lit ou dans la chambre; tout remède lui était bon, pourvu qu'il y vit, un espoir de reprendre sa vie ordinaire; volontiers il dépassait la mesure pour hâter les bons effets prévus. Cette impatience de guérir fut peut-être pour une part dans le mauvais état continu de sa santé; il ne se remit jamais entièrement, : il retomba même dans un grave danger en septembre 1904. On crut bon de le faire partir en hâte pour le Baïlundo, où il avait des chances d'être mieux traité. L'avantage que l'on escomptait de ce changement d'air et des soins fut loin d'être obtenu. Le médecin du lieu augura qu'il n'y avait plus qu'un remède, le retour en Europe; on fut de cet, avis à Loanda et, le P. Le­comte donna l'ordre du départ, immédiat.

A la mi-décembre le Père débarquait à Lisbonne; on lui assigna comme résidence la Communauté de Cintra, proche de la ville, mais dans la campagne. Il s'y consola en priant à redoublement pour sa Mission et en expiant, disait-il, les fautes qu'il avait commises dans son. administration en Afrique. Il se proposait de demeurer à Cintra pendant l'hiver entier, de prendre au mois de mai les eaux de Geres et de passer en France. Il fut rappelé plus tôt, en avril, et se rendit en Alsace où il fit, une saison aux bains de Watwiller. Quand il se sentit mieux, il fut envoyé de nouveau au Portugal. Nous l'y trouvons à Formiga, où il donne des conférences missionnaires aux petits scolastiques et exerce le saint minis­tère. Il y a rencontré le P. Mens; à eux d'eux ils forment au chant grégorien les élèves de philosophie et de théologie; ils attrent ainsi à la chapelle un auditoire empressé qui bientôt déplorera leur absence.

En 1906 il prend part au Chapitre général comme, délégué des confrères de l'Angola, après quoi il est définitivement rattaché à la Province du Portugal. Sa santé restait précaire; après le Chapitre il prit, quelque repos en Alsace; il y est de nouveau malade, au point qu'on doit, en toute hâte deman­der à Paris le remède spécial dont il a besoin.

Il était sur le point de reprendre des fonctions très actives; à peine rentré an Portugal il fut appelé, à remplacer comme procureur de la Province et des Missions portugaises le P. X. Schurrer nommé visiteur de l'Amazonie; cette charge lui fut confiée en titre le 1er juin 1907; désormais il résida à la Procure, de Lisbonne, dont il devint supérieur peu après. Sa santé cependant s'affermit, à condition qu'il prenne régulièrement des congés dans sa province natale.

Il était à Lisbonne quand éclata la Révolution de 1910, dans la journée 3 octobre. Le lendemain, 4, il sortit très tôt pour dire la messe dans la chapelle qu'il desservait, puis rentra et se prépara aux événements. La procure fut bientôt assaillie par des soldats et une foule de gens armés de revolvers et de fusils, demandant qu'on leur ouvrît la porte. Le Père, qui a eu le temps de prendre des habits laïques se présente avec le F. Xavier et parlemente : la maison, explique-t-il, est, une maison de missionnaires d’Afrique qui sont partis : il ne reste plus que les employés. La maison est fouillée et comme on n'y trouve pas d'armes, la bande se retire. Le Père crut prudent cependant de se réfugier à la légation d'Autriche, d'où il gagna la France, il arriva à Paris le 12.

Comme il fallait pourvoir, aux intérêts de la Congrégation en Portugal, le Père occupa ses premiers loisirs qu~i1 passa en Alsace à,des démarches pour ètre réintegré dans ses droits de citoyen allemand, car il avait obtenu son expa­triation en partant pour la France en 1884. Son but – dans lequel l’encourageait la - Maison Mère, était de rentrer à Lisbonne à titre d'aumônier des Allemands en cette ville. A cette occasion, l'un des intermédiaires dont il se servit député Erzberger, lui conseilla de faire inscrire les propriété de la Coiigrégatiop. an Portugal sous un nom allemand, car jusque-là elles étaient sous un nom anglais. Le Père s'y refusa, à cause des grandes dépenses qu'entraînerait cette mutation et aussi pour se réserver devant, le Gouvernement portingais l'appui de deux nations au lieu d'une seule. La combinaison ne réussit pas.

Le Père fut envoyé à Neufgrange, sous le P. Karst, et chargé de l'économat.

La maison de Neufgrange était établie, depuis 1904, elle donnait asile au Noviciat des Clercs de la Province d'Allemagne,. On y avait déjà, le mieux possible, approprié les bâtiments à cette destination. Le P. Riedlinger succédait, dans la charge d'économe, an P. Prosper Kuentz qui, on le sait, dans le maniement du matériel, était très habile et ne reculait pas devant les moyens de fortune. En prenant cette succession. Io Père maintint les traditions d'économie intelligente et de dévouement sans limite qu'il trouva en usage; il dépassa son prédécesseur en faisant rendre à la terre encore plus et surtout en construisant de nouveaux bâtiments : un noviciat, une chapelle, au lieu d’heureux badigeonnages et d'aménagements de vieux hangars dont on avait été réduit à se contenter jusque-là. La maison n'était pas rentée, on faisait rendre à la, ferme le plus possible; pour le reste on quêtait, les Pères trou­vant par ailleurs quelques émoluments du fait de leur minis­tère dans les paroisses aux environs. Ce régime convenait bien au P. Riedlinger par la grande confiance en la Providence sur laquelle, il s'appuyait. Il trouva le moyen, tout en faisant vivre sa maison, de venir en aide à des pauvres nombreux.

Quand suirvint la guerre de 1914 on parla d’arrêter l'élan donné; on le fit même un temps, puis on reprit les travaux. Les bâtiments étaient occupés par l’armée allemande qui y avait installé un lazaret. L'économe tira le meilleur parti d'une situation qui aurait, pu devenir plus embarrassante, car il fallait s’accommoder aux exigences de l'occupant et en même temps continuer à vivre; il avait comme principe d'entretenir avec ses hôtes des relations correctes, de leur concéder de bonne grâce ce qu'il ne pouvait leur refuser et d'obtenir d'eux, en échange, le plus de services possible. Il leur livra en effet la jouissance du nouveau bâtiment à peine achevé et les laissa exécuter par eux-mèmes les installations sanitaires, qu'il n'aurait pas d'ailleurs pu entreprendre ni surtout mener à bonne fin. Aussi à Neufgrange tout se passa sans heurt.

A l'armistice il fut le premier des pays recouvrés à se rendre à la Maison-Mère : cette apparition fit bon effet; lui-même il avait besoin de manifester sa joie du cours que les événements avaient pris. Rentré à Neufgrange il se remit à l'oeuvre.

Quand en 1919 le P. Karst crut opportun de résigner sa charge de supérieur, la confiance de la Maison-Mère alla droit an P. Riedlinger pour instaurer le nouvel ordre de choses (3 juin 1919). Le Père garda cette fonction trois mois à peine; il serait, au moins oiseux de le mentionner ici, si elle n'avait son importance par un conseil donné vers ce temps à un groupe de jeunes personnes, désireuses de former une nouvelle société religieuse et, qui furent le premier noyau de la future Congrégation clés Soeurs Missionnaires du Saint-Esprit. Ce groupe cherchait sur qui s'appuyer, car leur directeur, l'abbé Eck qui les avait réunies, ne suffisait plus à les guider. Elles demandèrent que la Communauté de Neufgrange voulût bien s'occuper de leur direction. Le P. Riedlinger - c'est, lui qui l'a maintes fois rapporté - répondit, d'accord avec le P. Karst, que, si la petite association se destinait au service du clergé des paroisses, les missionnaires n'avaient que faire pour elle; si au contraire elle se proposait de se dévouer aux Missions, Neufgrange les agréerait volontiers. Nous savons aussi que le Père s'employa à leur trouver une maison et à les y établir; mais il le fit de loin, car le 4 septembre 1919 il avait été élu conseiller général de la Congrégation. Il avait pris part au Chapitre de 1919 au même titre qu'au précédent, délégué des missions de l'Angola.

Désormais - et pendant trente et un ans -- il résidera à Paris ou dans la banlieue.

De son action au Conseil nous ne saurions rien dire, sauf que ses avis furent toujours appréciés, toujours prudents, sans rien de hâtif ou de précipité, avec une pointe d'humour, car il savait remarquer et relever les petits travers. Il rendit surtout service aux provinces et missions de langue portugaise et de langue allemande dont il fut le correspondant attitré.

Il est d'usage aussi que les membres du Conseil prennent quelque occupation de ministère au dehors. On lui offrit la direction spirituelle du Noviciat des Soeurs de Saint-Joseph à la rue Méchain. Il se récusa, il n'avait guère l'habitude, disait-il, de traiter avec des âmes de formation délicate, lui qui, dans les années précédentes, avait, été absorbé par les soins matériels d'une grande maison. et était mieux fait pour diriger des animaux de ferme du plus bas étage : c'est lui qui le disait ! On tint compte de ses objections, mais plus tard il accepta de prendre sa part de confessions de, ce même noviciat et on s'en félicita car il était directeur d'âmes très perspicace; ce qu'il redoutait surtout, au début de son séjour à Paris, était d'avoir à prendre la parole dans des conférences aux novices sans avoir préparé entièrement par ses allocutions.

Il accepta le service le moins attrayant parmi ceux qui étaient alors demandés ià la Maison-Mère, celui de l'asile de nuit, de la rue Saint-Jacques auquel était annexé une sorte de refuge pour les filles tombées. Il s'y donna de tout coeur, fit beaucoup de bien et eut la joie de découvrir de belles âmes parmi ces victimes de l'abandon où les jette le grand Paris, exposées a toutes les tentations. Après les avoir réconciliées avec Dieu et avec la société, il les suivait à la sortie de l'asile, leur procurait des places. A cet, effet, il n’hésitait, pas à entre­ tenir des rapports avec les œuvres de charité et avec des gens parfois haut placés. Il subissait, avec patience les importunités de sa clientèle; son but était, de rendre service non pas seulement dans le secteur restreint qui lui était, assigné, mais aussi loin que le requérait le bien des âmes; il le faisait, avec un grand tact qui lui valait la confiance de tous.Il s'inté­ressait aussi aux Portugais de, Paris et des environs.

Il fut réélu conseiller général en juillet 1926; en même temps il fut nommé, supérieur de la Communauté de la Maison-Mère.

Ce poste est parfois délicat, en face de confrères habiles à esquiver le contrôle du supérieur pour agir à leur. guise; il est aussi fort chargé par les relations au dehors, demandes incessantes de services de la part du clergé, qu'il faut écarter sans manquer aux égards requis, personnes en quête d'un conseil, quémandeurs de toute sorte depuis ceux qui sollicitent un secours d'argent pour vivre ou sortir d'embarras, jusqu'à ceux qui estiment qu'une maison religieuse de prêtres est une agence de renseignements de com­pétence universelle. Le Père ne cachait pas combien lui coûtait cet assujettissement, pourtant il se montrait toujours ou d'une grande bonté; il avait en outre le précieux talent d'écar­ter les importuns sans les froisser C'est, par ses relations de charité qu’'il en vint à découvrir l'OEuvre des Violettes à Courbevoie; il devait y donner ses dernières forces et jusqu'à son dernier soupir.

Cependant son état général de était loin de lui donner satisfaction. En 1921 il fit une longue saison à Châtel-Guyon pour guérir la sciatique; il en était venu à ne plus marcher que très péniblement. Il souffrait du foie, des intestins; il était accablé par un emphysème rebelle. Il a des misères de tout côté, excepté, écrit-il, du côté de la langue, « le médecin ne me trouve pas la langue trop mauvaise, il pense que ce n'est, pas de la langue que je mourrai ».

Ces incommodités ne l'empêchèrent, pas de faire en 1924 la visite de l'Angola. Il parcourut, les parties de la colonie qu'il ne connaissait pas encore et, fut très satisfait de ce qu'il y vit, en particulier dans la Lounda : communautés ferventes, chrétientés bien disciplinées, espoirs fondés de progrès continus. En 1930 il fit aussi la visite du Portugal; à cette occa­sion il fut remplacé, à la de la Comnitinatité de la Maison-Mère par le P. Jules Rémy.

Depuis quelque temps déjà, tout, en résidant à la rue Lhomond, il donnait ses soins à 1'Oeuvre des Violettes ; il avait d'abord hésité à s'en charger; après réflexion il s'y prêta, timidement au début, puis peu à peu avec cette déci­sion qu'il mettait à faire le bien quand il y voyait un motif sérieux.

Les Violettes sont une communauté séculière qui a la charge d'un orphelinat, adonné surtout, à la fabrication de fleurs artificielles, d'un goût très distingué et d'un art accompli, qui va en se perfectionnant de jour en jour. Ces fleurs sont destinées aux grands magasins de mode ou aux autels et églises. Il y a vingt ans, à l’orphelinat, était, jointe une clinique médicale et, chirurgicale qui nous, rendit de très grands services en hospitalisant, plusieurs de nos confrères.

Le P. Riedlinger finit par résider dans cette maison en y faisant le service de chapelain et d'aumônier; il s'y établit ainsi à demeure tu mois de mai 193l. Un dimanche il s'y rendit pour son ministère ordinaire avec l'intention de consulter le docteur qui devait y passer, car il se sentait très fatigué. Le docteur lui imposa de se mettre au lit sur-le-champ et de se laisser soigner. Pendant dix-neuf ans le Père y fut l'objet, des plus délicates attentions qu’il n'aurait pas connues dans une de nos communautés et l'on petut dire qu'il doit à cette solli­citude maternelle d'avoir vécu jusqu'à 81 ans.

Au début de son séjour à Courbevoie il venait chaque mardi la Maison-Mère pour assister à la séance du Conseil. Ce déplacement lui devint pénible avec le temps : ce qui l'amena à donner sa démission de conseiller général le 4 juillet 1933.

Jusqu'au bout il n'en resta pas moins très attaché à la Maison­Mère; il sollicitait la visite des confrères, les invitait à sa table et les accueillait avec empressement,. Il prenait part, à tous nos deuils et à toutes nos joies. Tant que fut maintenue la clinique dés Violettes, il eut presque près de lui quelqu'un des nôtres qu'il suivait avec le plus grand intérêt et qu'il assistait à la mort : véritable prolongement, de notre Coim­munauté.

Dans la maison il s'adonna avant. tout, à l'éducation religieuse des enfants; il leur faisait lo catéchisine - son talent, ou cela était remarquable, prenait à part les arriérées, leur ensei­gnant la doctrine à la mesure de leur capacité, les préparait à la première communion, les suivait, de près jusqu'à leur mariage, car ce lui était, une consolation d'établir ses jeunes filles, les plus délaissées surtout. Pour la communauté des dirigeantes, il était vraiment père, ayant souci avant tout de leur bien spirituel par des instruct,ions, des retraites spiri­tuelles; il revit leurs règlernents, fomna des aspirantes et communiqua a toutes son ardeur pour le bien. Qu'il le voulùt ou non, il fut amené à prondrc part, par ses conseils et, ses démarches personnelles, là l'administation temporelle, il traita en particulier avec la mairie, sut se faire des amis dans ce milieu : on le vit, lors de, la célébration de ses noces d'or de sacerdoce (28 octobre 1942) oit le maire lui-même prit part à la fète; il était, devenu le confident des docteurs qui visitaient la maison, il les retenail, à sa table et les charmait par sa bonne humeur, son franc-parler et sa bonté.

Ses dernières années furent dures, : c'était de nouveau la guerre. L'orphelinat, émigra en 1939 dans le diocèse du Mans, au château de Semur-en-Vallon et revint à. sa résidence quand on vit que l'épreuve allait durer. Ce séjour à la campagne fit du bien au Père, sa santé s'affermit peu à peu; il souffrit moins de l'emphysème. Jusqu'en 1943 tout se passa aux Violettes aussi bien qu'on pouvait le désirer : on vécut. Mais, le 15 septembre 1943, les bombardements de la banlieue causèrent de graves dégâts. La maison Principale fut épargnée mais les dépendances furent en partie détruites : là se trou­vaient les dortoirs des enfants et des salles de travail. Le Père s'ingéniait à obtenir des locaux provisoires; une grande baraque en bois fut élevée dans la cour; puis il s'empressa d'acheter briques et tuiles pour édifier un bâtiment solide. L'autorisation de construire arriva peu avant sa mort; les matériaux en tas sont un témoin d'un de ses plus chers désirs.

Vers la fin de l'été dernier son état s'aggrava; une éruption cutanée sur tout le corps ne lui laissa de repos ni jour, ni nuit; ces longues insommnies l'épuisaient. Bientôt il ressentit, par crises passagères, de vives douleurs à la région de la poi­trine. Il consulta, niais on ne conçut pas d'inquiétude. Le mercredi 27 septembre il se confessa à son ordinaire : c'était son jour. Le 29, fête de saint Michel, il célébra la messe, con­fessa quelques enfants, s'occupa tout,ela matinée d'affaires courantes dans ses moments de répit. Vers 4 heures de l'après ­midi, les douleurs devinrent plus vives; quand il souffrait, trop il se jetait, sur son lit. Il était 7 h. 3/4 quand il se leva, encore une fois, avec énergie, fit quelques pas dans sa chambre et, chancela. On n'eut que le temps de l'asseoir : il était, mort, Un vicaire de la paroisse, appelé aussitôt, lùi donna l'Extrème Onction.

Les obsèques furent célébrées à Chevilly le mardi 3 octobre.

Ceux qui ont eu le bonheur de le connaître prieront sur ses restes à l'extrême coin ouest du cimetière : qu'ils demandent pour nous tous quelque chose de son admirable dévouement au salut des âmes.

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