LE F. VENANCE RIEMER
décédé à Morogoro, le 11 décembre 1908.
(Notices Biog. III p. 460-465)


Le 18 février 1880, à Minversheim (Alsace), François-Xavier Riemer commençait à prendre sa part des épreuves de la vie. Vers l'âge de onze ans, il perdit coup sur coup son père -et sa mère. Recueilli alors par un de ses oncles, demeurant à Wittersheim, il acheva en ce village le cours des études primaires et y fit sa première communion.

D'après l'attestation du prêtre qui était, à cette époque, curé de Wittersheini, François - Xavier avait un caractère doux, facile, très serviable. Ainsi, par exemple, quand quelque servant de messe ne se présentait point à l'église à son jour de service, Riemer arrivait gentiment pour s'offrir à le remplacer. Ce jeune orphelin avait le talent de se faire aimer de tout le monde.

Au sortir de l'enfance, François-Xavier, tout en s'interrogeant sur la vie qui lui conviendrait le mieux de suivre, commença résolument à demander au travail des mains les moyens d' assurer son avenir. Avec la piété qu'il entretenait en son coeur, croissait le besoin de prouver la reconnaissance à l'égard des bienfaits divins, par un dévouement complet au service du Seigneur. Cette âme d'élite semblait appelée à quitter le milieu des bons chrétiens ordinaires, pour s'épanouir à l'aise au sein d'une famille religieuse. Ainsi en jugea le confesseur auquel l'adolescent avait confié le soin de son intérieur.

Croyant deviner l'Institut répondant le plus exactement aux aptitudes de son dirigé, le bon curé lui fit connaître la Congrégation du Saint-Esprit, l'engageant à y entrer comme Frère coadjuteur. La proposition répondait bien aux aspirations intimes de François-Xavier; elle traduisait en formule précise, claire, les idées et velléités jusque-là indécises et confuses de son âme.

Sur ces entrefaites, François-Xavier ayant eu l'occasion de s'entretenir avec un Frère de notre Société, voulait l'accompagner immédiatement à Paris, afin d'entrer sans retard au Noviciat de Chevilly. Dans sa candeur de jeune homme modèle, à qui personne n'avait jamais eu à adresser un reproche, il songeait si peu que les Supérieurs devaient prendre des renseignements sur son compte, avant de l'admettre parmi nous, qu'il avait quitté ses maîtres et sa place, afin d'être prêt à partir à la première nouvelle de l'acceptation de sa demande. Immense fut la déception de l'aspirant de voir deux semaines s'écouler sans que la poste lui apportât une réponse. N'y tenant plus, il écrivit de nouveau, le 10 décembre 1896 :

« Révérend Père Supérieur, Il y a quatorze jours, j'ai fait ma demande d'être reçu comme Frère de la Congrégation mais je n'ai pas encore eu de réponse ; et comme dans deux mois j'aurai 17 ans, la chose presse, parce qu'après 17 ans révolus je n'aurai plus d'acte d'expatriation. Je suis orphelin et n'ai point de chez moi. J'aimerais mieux employer mes revenus dans les Missions que de les manger au service militaire. Comme j'ai voulu partir avec le F. Hermias, j'ai quitté ma place et je suis chez mon oncle. Voilà pourquoi je vous prie, R. P. Supérieur, de me répondre immédiatement, pour me laisser entrer dans votre Congrégation. Confiant en Dieu qui n'abandonne pas les orphelins, j'espère être reçu chez vous.
Ainsi, je compte sur une réponse rapide... »

Les renseignements excellents sur François-Xavier Riemer étant parvenus aux Supérieurs un peu avant la supplique anxieuse qu'on vient de lire, leur permirent d'annoncer aussitôt au brave jeune homme inquiet que la porte du Noviciat m'ouvrirait devant lui dès qu'il le voudrait. Le 26 décembre 1896, le postulant, au comble de ses voeux entrait à Chevillv.

François-Xavier dut commencer par se mettre à l'étude de la langue française, qu'on ne lui avait pas enseignée à l'école primaire, en Alsace. Il réussit assez bien dans cette tâche * la facilité du jeune âge était restée presque entière chez cet adolescent qui atteignait sa dix-septième année. Le postulant avait encore une autre besogne à mener à bien, l'étude - théorique et pratique - de la vie religieuse. Après avoir franchi le seuil du Noviciat d'un ordre religieux, le fidèle le mieux au courant (le la doctrine catholique, le chrétien le plus édifiant dans le monde se trouve en présence de vertus, comme nouvelles pour lui, à étudier et à pratiquer. Jusque-là, pourtant, la sève divine parcourait déjà, depuis longtemps, son être tout entier ; cette sève avait vivifié son âme et lui avait fait porter des fruits de vie chrétienne. Oui, sans doute ; mais la puissance de la sève divine est capable de produire beaucoup mieux, quand on prend soin de lui préparer dans l'âme chrétienne un écoulement surabondant, par les canaux de la pauvreté, de la chasteté et,de l'obéissance religieuses. Apprendre à maintenir constamment ces canaux en parfait état, c'est la partie la plus importante de la science à acquérir au Noviciat, c 1 est l'essentiel dans l'apprentissage di,. l'état religieux.

François-Xavier Riemer avait apporté du monde- un instrument de première valeur : la volonté de réussir dans l'apprentissage spirituel qu'il tentait. Avec un outil semblable, l'appel d'En-haut étant supposé, l'oeuvre entreprise -doit aboutir au succès. Ainsi en arriva-t-il pour notre jeune homme. Malgré quelques défectuosités, malgré surtout la timidité contre laquelle il lui fallut se débattre, il donna satisfaction àses directeurs durant son temps de formation. Le 9- janvier 1896, François-Xavier Riemer devenait le F. Venance qui, un an plus tard, le 20 mars 1899, faisait profession à Chevilly.

Envoyé au Zanguebar, le P. Venance débute dans la com­munauté de Matombo, où l'on élevait alors les bâtiment1 définitifs de la station. Les travaux de charpente et de menuiserie lui sont dévolus. Bien entendu, cela ne l'empêche point decontribuer au défrichement de vastes terrains, sur lesquels on établit des plantations destinées à nourrir la station.

Vers la fin de 1902, le F. Venance passe à la communauté de Morogoro, qui a besoin, elle aussi, de reconstruire ses bâtiments. Belle besogne à mettre en chantier : tour à tour, il faudra manier vigoureusement cognée, scie, rabot, truelle, marteau de forge, etc. ; il faudra faire manoeuvrer en même temps des équipes d'apprentis, - les enfants de la mission, - guidant leurs mains inexpérimentées, réclamant au besoin de « l'huile de coudes » aux travailleurs peu courageux. Ainsi chargé de la direction des constructions, devant exécuter luimême les parties les plus difficiles, le Frère s'en préoccupe constamment, ruminant des combinaisons qui lui permettent, avec les éléments dont il dispose, d'élever des bâtiments solides, salubres et commodes.

Il pousse plus loin le dévouement. « Loin de se contenter, dit son Supérieur, de travaux dont la charge lui est confiée spécialement, il prend à coeur tout ce qui touche aux intérêts matériels, et même au profit spirituel de la station. Nuit et jour, on le trouve prêt à toute besogne. Quand le lion, ,ou le léopard rend une visite nocturne à la basse-cour, le F. Venance vole immédiatement, le.fusil à la main, au secours des assiégés... Aimé des Noirs, dont il sait gagner la confiance, il fournit aussi, souvent, un concours utile contre le lion infernal, par des renseignements de détail, qui facilitent aux Pères l'exercice du saint ministère, se montrant ainsi vrai « coadjuteur ». Toutefois, il demeure sur ce point d'une discrétion parfaite, gardant le silence sur ce qui ne lui est pas demandé. »

Pendant que le F. Venance cherchait à rendre le plus possible de services à sa mission, les épreuves physiques et morales ne lui firent jamais défaut. Une dysenterie chronique l'avait contraint, en 1907, à passer quelques mois en France. Bien guéri de cette maladie, il avait regagné son poste de Morogoro ; mais, il y rapportait un autre mal invétéré, dont la mort seule délivre : l'hypertrophie du coeur. Avec cette organe essentiel en si fâcheux état, que de nuits sans sommeil ! Quelle sensibilité maladive, aggravant, exagérant des peines réelles, créant des peines imaginaires!

Le F. Venance craignait comme le feu ces racontars cancaniers, ces «on dit » agaçants, qui rappellent intempestivement, sans motif valable, de vieilles histoires désagréables, des faits inexacts, - tronqués ou grossis, - mal interprétés, d'un passé éclairci en son temps, et réparé de façon convenable depuis. Lorsque, d'aventure, le pauvre Frère entendait (ou croyait entendre) une allusion de ce genre sur son compte, il en souffrait horriblement. Il aurait voulu voir les hommes, agir comme le bon Dieu qui , après avoir pardonné une faute, n'en parle jamais plus... Le F. Venance fournissait le meilleur exemple à ce sujet, gardant lui-­même la plus complète réserve sur les « verrues », même notoires du prochain. Ce n'est pas lui qui les aurait montrées à quelqu'un 1 Il aurait craint de diminuer par là l'estime due aux qualités de celui qui se voyait affligé de ces misères...

Une tranche et solide piété soutenait le F. Venance au milieu de ses peines. La lecture spirituelle était un besoin et un repos pour son âme. Après le couvre-­feu, il lisait parfois, deux heures entières, quelque livre traitant de la perfection chrétienne, ou de la dévotion au Saint, Sacrement et à la Sainte Vierge.

Tenir l'harmonium et diriger le chant à la chapelle comptait parmi les emplois aimés du F. Venance. Son zèle pour la gloire divine trouvait grande satisfaction dans ces deux charges : il y trouva aussi la cause d'une mort prématurée..

Depuis deux mois, le Frère s'occupait avec un dévouement extraordinaire à réunir les matériaux nécessaires à la construction de la maison des Soeurs, qu'on voulait installer à Morogoro. Dans ce but, plus de cinquante ouvriers travaillaient sous ses ordres; il suivait tout ce monde avec une scrupuleuse attention, afin que l'oeil du maître fit activer la besogne. En guise de repos, quelques jours avant le 8 décembre, fête patronale de Morogoro, il. présida des répétitions de chant quotidiennes (d'une heure et demie chacune). Le lundi 7 décembre, se sentant atteint par un accès de fièvre, annoncé par des .maux de tête les jours précédents, il prit un peu de quinine, vers les 5 heures du soir. Au lieu de baisser, la fièvre augmenta. Voulant, à toute force, la faire tomber afin d'être dispos le lendemain, le F. Venance absorba, vers les 9 heures du soir, une seconde dose de quinine. Ce fut sa perte. A 3 heures du matin, l'hématurie se déclarait. Après des alternatives de hausse et de baisse dans la fièvre, l'hématurie, qui avait semblé disparaître peu à peu, revint, le jeudi, à son état initial. L'espoir de sauver le malade s'évanouissait. Dans la nuit, le Frère reçut les derniers sacrements et perdit ensuite l'usage de la parole. Le vendredi matin, Il décembre,. il trépassait, à 10 heures et demie, pendant qu'un Père lui donnait l'absolution et que ses autres confrères récitaient les prières des agonisants. .

Le F. Venance est mort convaincu que Dieu lui demandait le sacrifice de sa vie pour la station de Morogoro. Peu auparavant, le P. Brasse[, supérieur intérimaire, avait dit en récréation, (probablement sans attacher d'importance à sa réflexion) : « Un sacrifice sera peut-être encore demandé parmi les membres de la communauté. » Le Frère, dès qu'il se rendit compte de la gravité de son état, rappela cette parole au Père, en ajoutant : « Vous voyez qui le bon Dieu a choisi... la victime, ce sera moi, vous verrez ! » Et, de grand coeur, il accepta de quitter ce monde, en pleine jeunesse, afin d'attirer de nouvelles grâces de conversion sur les âmes évangélisées par ses confrères.
L. DEDIANNE.

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