Le P. Xavier SCHURRER,
décédé a Misserghin, le 1er avril 1938, à l'âge de 83 ans,
après 65 années passées dans la Congrégation, dont 57 ans et 7 mois comme profès.


Le 12 septembre 1871, M. l'abbé Bubendorf, administrateur de Obermorshwiller, canton d'Alt­kirch (Haut-Rhin), écrivait au Supérieur de Lan­gonnet, pour demander l'admission de son cousin germain au Petit Scolasticat : Cétait, disait-il. « un jeune homme de 17 ans, très fort de santé et, « selon l'avis de son professeur, assez fort pour « entrer en 4e : il a beaucoup de talents, très « assidu au travail, fermement résolu à se consa­crer à Dieu; il serait décidé à venir pour la ren­trée prochaine. » Une si bonne recommandation, venant d'un prêtre, déjà connu comme ami très dévoué de la Congrégation, ne pouvait qu'influencer favorablement le P. Supérieur, en faveur du nou­veau candidat. Aussi chargea-t-il le P. Pellerin, di­recteur du Scolasticat, de répondre affirmativement à la demande qui lui avait été adressée. On n'eut jamais à se repentir de cette admission exception­nellement rapide, comme l'a prouvé toute la vie du P. Xavier Schurrer, un des doyens d'âge de la Congrégation et 1'un de ses membres les plus méri­tants.

Il était né à Ranspach-le-Bas (Haut-Rhin), le 23 novembre 1854, dans une de ces bonnes familles d'Alsace, de condition plutôt médiocre, mais où se conservent fidèlement les saintes traditions chré­tiennes, sources de nombreuses vocations sacerdo­tales et apostoliques. A l'âge de 6 ans, il eut le malheur de perdre sa mère, mais son père lui res­tait avec deux frères et deux soeurs, dont une reli­gieuse. Il fréquenta l'école primaire jusqu'à l'âcre de 14 ans, et, comme à cette époque n'avait pis encore paru le décret libérateur de Pie X sur la communion, ce fut à cet âge seulement qu'il eut la joie de s'approcher de la sainte table pour la pre­mière fois, en 1868. Il fut confirmé trois ans plus tard, en 1871.

Après avoir terminé ses études primaires, il resta auprès de son père, pour l'aider dans les travaux de la terre, et c'est au milieu de ces labeurs agri­coles que l'idée lui vint de consacrer sa vie aux tra­vaux plus nobles de l'apostolat, attiré sans doute par l'exemple de son cousin, Antoine Schurrer, qui, depuis deux ans déjà, faisait ses études à Langonnet, en vue du sacerdoce et de la vie religieuse, et devint plus tard le P. Antoine Schurrer. Dans ce but, il se mit à l'étude du latin, dont il reçut les leçons une ou deux fois par semaine.

Quand le moment de partir fut arrivé, ce qui préoccupait son père, c'était le voyage de son fils, d’Alsace en Bretagne, à travers la France, car, di­sait-il, « il n'est jamais allé très loin de la maison ». Heureusement, il y avait dans le voisinage un jeune scolastique, le futur P. Muespach qui, à la fin des vacances, devait rentrer à l'Abbaye, et ce fut en sa compagnie que notre jeune postulant débarqua à Langonnet, le 28 septembre 1871, muni de tous les certificats voulus et surtout plein de bonne vo­lonté.

Ses débuts furent excellents : il se révéla bon élève de 4' et, par sa conduite morale, ùeligieuse et disciplinaire, mérita d'être admis, après les mois réglementaires de postulat, au nombre des scolas­tiques titulaires, dont il revêtit, l'habit le 1" no­vembre 1872 Aupa ravant, puisque l'Alsace était devenue province allemande à la fin de la guerre, il voulut, comme beaucoup de ses compatriotes. opter pour la nationalité française et se fit inscrire, le 22 septembre 1872, sur les registres de la com­mune de Plouray, voisine de celle de Langonnet.

Au terme de ses études secondaires, il passa di­rectement au Grand Scolasticat, qui alors était ins­tallé à l'Abbaye, sous la direction du P. Xavier Li­bermann, neveu de notre Vénérable Père. Il par­courut très régulièrement le cycle des études phi­losophiques et théologiques et reçut les saints ordres aux époques réglementaires, toujours avec l'approbation unanime de ses directeurs et àes professeurs : ses notes personnelles le présentent comme très sûr dans sa vocation et comme doué d'excellentes dispositions, on ne lui reproche que d'être trop impressionnable, mais qui ne l'est pas un peu? ...

En septembre 1879, il vint à Chevilly, pour y faire son noviciat qui, à cette époque encore, cou­ronnait la formation intégrale des aspirants et se terminait par la profession religieuse et la consé­cration à l'apostolat. Dans la lettre qu'il écrivit au T. R. Père, pour lui demander la faveur d'émettre les premiers voeux officiels qui le feront membre de la Congrégation, il sollicite aussi celle qui. dit-il, mettra le comble à ses désirs, de pouvoir faire les voeux privés perpétuels et celui de persévérance.

Admis comme profès dans la Congrégation, le 29 août 1880, il reçut aussitôt son obédience pour le collège du Saint-Esprit, à Braga, Portugal. Ce col­lège, fondé par le P. Eigenmann, quelques années auparavant, au milieu de difficultés inouîes et qui devait, dans un avenir prochain, jouir d'une pros­périté extraordinaire par le nombre de ses élèves et leur succès aux examens, passait alors par une crise inquiétante. La mauvaise presse venant à la rescousse de la franc-maçonnerie, accusait le col­lège du Saint-Esprit d'être le collège le plus jésui­tique de Portugal et ne parlait de rien moins que de demander sa fermeture, au nom des lois de 1834 qui avaient dissous et prohibé tout Ordre ou Congrégation religieuse. Mais le P. Eigenmann, supé­rieur du Collège, était le type incarné du vrai chef, et, avec son énergie indomptable, il entraîna tous ses collaborateurs à la conquête de la liberté.

A cette époque, depuis deux ou trois ans, par un contraste singulier, la question des Missions portu­gaises était à l'ordre du jour, et les hommes d'ordre, les vrais patriotes, constataient avec tristesse que les colonies importantes que le Portugal possède en Afrique, étaient dans le plus triste état : en con­séquence, ils réclamaient à grands cris le secours de missionnaires religieux. Malheureusement, rien ou presque rien n'était organisé dans le pays pour porter un remède efficce à cette triste situation. C'est dans ces conditions que la Congrégation du Saint-Esprit était venue s'installer à Braga, pour essayer de rallumer l'esprit apostolique qui avait animé autrefois les navigateurs portugais, à l'épo­que des grandes découvertes. C'est dans ce but que, dès le commencement, le P. Eigenmann annexa au collège de Braga un petit scolasticat et un noviciat de Frères pour la formation et l'éducation de futurs missionnaires portugais, et qu'il développa ensuite toutes les autres oeuvres, toujours avec la même intention apostolique, dans tout le pays.

Quand le P. Schurrer arriva au Collège, les PP. Duparquet et Antunes avec le P. Carlos Wur­nemburger venaient à peine de le quitter, avec les deux FF. Gérard et Rodrigo, pour aller fonder la nouvelle Mission de Huila, qui a été le point de départ de l'admirable réseau des belles et nom­breuses Missions qui sont aujourd'hui le plus bel ornement de l'Angola et du Congo.

Le P. Schurrer resta onze ans (1880-1891) au Col­lège du Saint-Esprit, où il exerça les fonctions de professeur dans les différentes classes, avec une méthode pédagogique qui lui attira bien vite la sympathie générale et fut couronnée par les succès habituels de ses élèves aux examens officiels, devant les jurys d'Etat.

Dès la première année, il se révéla tel qu'il devait être pendant toute sa longue vie. Il sut s'adapter très vite au genre et aux coutumes du pays dont il apprit la langue avec une grande facilité, ce qui lui permit bien vite d'exercer le saint ministère en ville, par­ticulièrement au Pensionnat dirigé par les reli­gieuses du Saint-Coeur de Marie. Bon religieux, très régulier et très accommodant de caractère, il con­courut largement, pour sa part, à cette renominée de véritable vie fraternelle qui fut l'apanage de la communauté de Braga.

Après cette rapide. esquisse, personne ne s'éton­nera que la Maison~M6re ait pensé à lui lorsqu'il fut question d'ouvrir un collège aux Acores, dans l'île Saint-Miguel, à Ponte-Delgada. Il iut nommé supérieur de la future communauté et s'embarqua à Lisbonne, le 20 novembre 1891, pour procéder à la fondation de l'Institut Fisher, qui répondit aux voeux de quelques demoiselles, apparentées en ligne collatérale, au cardinal Fisher, martyr de la foi en 1535. Les débuts du collège furent pénibles et peu brillants, car l'épreuve ne pouvait manquer à l'oeuvre de Dieu. Elle vint sous la forme d'une guerre que lui déclarèrent quelques professeurs d'écoles particulières, poussés peut-être par des sec­taires, qui s'efforcèrent de jeter le discrédit sur le Directeur et les professeurs de l'Institut.

Après cinq ans de lutte, le P. Schurrer fut nommé supérieur du Collège Sainte-Marie, à Porto, en 1896. Là aussi, l'épreuve l'attendait, comme une bénédic­tion divine, sur un établissement qui, plus tard, devait prendre un développement extraordinaire. L'épreuve passa comme les autres, et, au jour mar­qué par la Providence, les succès les plus éclatants vinrent couronner les efforts de son successeqr, le P. Emile Müller qui le remplaça comme directeur, en 1905.

En effet, le 12 janvier de cette même année, le P. Schurrer fut appelé à Lisbonne pour y cumuler les fonctions de supérieur de la communauté de Saint-François de Sales et de procureur de la pro­vince de Portugal. Il n'exerça ses deux fonctions que pendant deux ans et demi, car le 24 avrîl 1907 il s'embarquait pour le Brésil, comme Visiteur de la Mission de l'Amazonie; c'est là qu'il mena à bon terme une négociation très compliquée, relative à la paroisse de Teffé. Grâce à sa diplomatie il réussit à conclure un contrat par lequel Mgr Frederico da Costa, ancien élève de notre Collège de Para et nou­vel évêque de Manaos, « confiait à perpétuité à la Congrégation ladite paroisse de Teffé, en lui assi­gnant pour limites celles du municipe actuel ».

De retour en France, au mois de juillet, il fut supérieur de la communauté de Geutinnes ; envoyé en Belgique comme professeur, puis comme " septembre 1907 : il y resta jusqu'au 18 jan­vier 1910, date à laquelle il fut appelé à la Maison­Mère; il y remplit provisoirement la fonction de secrétaire-archiviste, et prêta son concours aux tra­vaux de la caisse et de l'économat.

Survint la guerre mondiale qui désorganisa une grande partie de nos oeuvres, par la mobilisation d'un grand nombre de Pères et de Frères. Le P. Li­thard, obligé par ses fonctions de résider loin de la Maison-Mère, ayant cru devoir donner sa démission de membre du Conseil général, le P. Schurrer fut élu à sa place comme conseiller, le 14 décembre 1915, et c'est à ce titre qu'il prit part aux travaux du Chapitre général qui se tint dans la Communauté du Saint-Coeur de Marie, en 1919, et qui dura onze jours. Entre temps, il remplit la charge de Maître des Novices Frères à Chevilly (5 mars 1918).

En septembre 1920, nous le trouvons installé à Orly, comme supérieur de la maison où le noviciat des Clercs avait été réintégré; il n'y resta pas long­temps.

Au bout de trois ans, en 1922, il revint à la Mai­son-Mère, où il fut occupé à des besognes plus en rapport avec son état de santé. Vraiment, en consi­dérant les différentes étapes de son curriculum vita, on ne peut s'empêcher d'admirer sa force de résistance et son courage, au milieu des mille diffi­cultés qu'il eut à vaincre au cours de sa vie mou­vementée ; mais la meilleure bonne volonté a ses limites et il arrive un moment où, bon gré mal gré, elle doit céder devant la fatigue physique ou intel­lectuelle.

En 1929, le P. Schurrer comptait 75 ans d'âge il avait besoin de repos et d'un climat plus chaud. On l'envoya à Misserghin pour y prendre une re­traite bien méritée; c'est là qu'il célébra ses noces d'or sacerdotales, le 12 octobre de la même année. En 1930, il se sentit tellement à bout de forces, qu'il crut qu'il allait partir pour le grand voyage

Il me semblait, écrivait-il, assister à l'enlisement de toutes mes facultés, mais mon heure « ne devait pas sonner encore. La prostration « physique s'est bien accentuée, mais le fléchisse­ment intellectuel, que je redoutais, tend à disparaître peu à peu. Mes occupations sont forcé­ment restreintes et j'aurai le temps de voir reve­nir mes forces. Je n'ai plus que le ministère des « confessions. »

Hélas! ce ministère qui était son unique consolation, il devait bientôt en être privé. En 1933, on lui offrit de revenir au Portugal, comme confesseur, dans l'une ou l'autre des maisons de formation de la province. La proposition lui sourit beaucoup, mais il dut avouer en toute sincérité qu'il se sentait incapable d'affronter un si long voyage et d'assumer pareille responsabilité. Cependant, il conser­vait encore les confessions des Soeurs Trinitaires et était le confesseur extraordinaire des Soeurs du Bon-Pasteur. Mais il touchait à sa 80e année et il devenait évident que ce travail auquel il se cram­ponnait si courageusement était au-dessus de ses forces. Il fallut, par charité, lui enjoindre d'y renon­cer. Il se soumit religieusement à cette décision, mais elle lui fut extrêmement douloureuse.

A partir de ce moment, le P. Schurrer entra résolument dans le dernier stade de sa longue carrière, et il dût se contenter de dire sa messe tous les jours, d'assister, tant que ses forces le lui permirent, à tous les exercices de la communauté et de vivre dans l'isolement : « J'y suis résigné, écrivait-il, et « je resterai dans mon isolement; je me reprends, car je trouve que ce mot « isolement » n'est pas chrétien. On n'est jamais seul quand on a une « foi vive et agissante ... Le 1" novembre 1872, « j'ai eu le bonheur de recevoir le Saint Habit, à Langonnet. Il y avait alors dans la cour intérieure une statue de la Sainte Vierge; je lui ai exprimé mon désir de devenir prêtre et de me dévouer dans les oeuvres de la Congrégation. Dans ma vie, elle a toujours occupé toute la place ...'

C'est dans ces sentiments de confiance et d'abandon que s'écoulèrent les dernières années de sa vie, les plus méritoires peut-être, car elles furent pé­nibles. Atteint, pendant de longs mois, d'une dé­chéance physique et intellectuelle qui lui ôtait la consolation de célébrer la sainte Messe ou même de, communier, il conservait cependant assez de con­science pour savourer l'amertume de sa complète inutilité, après une vie si active.
En novembre 1937, il avait atteint sa 83' année.

Au mois de mars de l'année suivante, il se sentit, plus fatigué et dut s'aliter. Son état inspira assez d'inquiétude pour qu'on lui conférât l'Extrême­Onction; et, au matin du 1er avril, on constata une crise de pneumonie; puis, dans la journée, son état prit une tournure plus grave. « Vers 3 heures de l'après-midi, écrit le P. Logié, son supérieur, je lui ai renouvelé l'absolution, et, après les prières de la Bonne Mort, celle de l'indulgence plénière. A 21 heures, la respiration devint plus pénible, mais à ce moment il a encore pu dire : « Jésus, Marie, Joseph », et, à 22 heures 30, il a rendu son ame à Dieu, sans douleur, et après une très courte agonie. » Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus. H. B.

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