P. François-Joseph THIERSE
: Biographies Volume II p. 17
Supérieur de la Communauté de N.D. du Grand-Port
Décédé au Grand-Port le 11 mai 1880


né à Hochfelden (Bas-Rhin), diocèse de Strasbourg, le 07/06/1815 ; premiers vœux à La Neuville, le 08/09/1845 ; vœux perpétuels à Ste Croix, le 27/08/1859 ; diacre à Strasbourg, le 01/06/1844 ; prêtre le 24/08/1845 ; décédé à Mahebourg, le 11/05/1880, à l’âge 64 de ans, après 36 ans de profession . Il a travaillé à Maurice du 20/09/1848 jusqu’à son décès ; il est enterré à Mahébourg, dans un mausolé édifié par les paroissiens, à côté de l’église .

Le vaillant et zélé missionnaire dont le nom se trouve inscrit en tête de ces pages, était l’un des plus anciens membres de la Congrégation, et il en a été aussi un des plus méritants, par ses travaux apostoliques . A ce double titre, il ouvre dignement ce recueil, consacré à la mémoire de nos confrères défunts .

1) Jeunesse et vocation du P. Thiersé .

François-Joseph Thiersé naquit le 7 juin 1815 à Hochfelden (Bas-Rhin), diocèse de Strasbourg, et fut baptisé le même jour . Ses parents, honnêtes cultivateurs, étaient surtout de solides chrétiens . Sa mère était Catherine Fuchs . Son père, qui portait comme lui les prénoms de François-Joseph, avait été condamné à mort, en septembre 1793, par le moine apostat d’Outre-Rhin, le trop fameux Schneider, pour avoir caché un prêtre dans la maison de ses ancêtres ; il n’échappa que par la fuite à la guillotine, et demeura dans le Grand-Duché de Bade jusqu’en 1802 . Ces souvenirs de famille, imprimés de bonne heure dans le cœur du jeune François-Joseph, ne servirent pas peu à retremper son âme et à lui inspirer cet esprit de foi et d’énergique et vigoureuse qui le distingua .

Etant l’aîné de ses frères, il resta avec ses parents jusqu’à l’âge de 22 ans pour les aider dans leurs travaux agricoles . – « Il avait même songé à s’établir, raconte le P. Bangratz, l’un de ses amis d’enfance, lorsqu’un jour il se dit : « Travailler toujours pour cette misérable terre, quelle vie ! » Et de ce pas, à 9 h du soir, le voilà qui prend le chemin du presbytère, et déclare résolument à M. le Curé de la paroisse qu’il veut se faire prêtre : huit jours plus tard, le mariage projeté était rompu, et M. l’Abbé Mai commençait à lui apprendre les premiers éléments de la langue latine .

Après trois années de leçons de latin et de grec chez le bon curé, leçons étudiées le plus souvent durant les heures de nuit, après de pénibles travaux dans les champs pendant la journée, le jeune Thiersé alla en seconde au petit séminaire de Strasbourg . Mais ensuite il se trouva retardé par une longue et grave maladie, et ce ne fut qu’en 1841 qu’il put entrer au grand séminaire . Il a reçu la tonsure et les ordres mineurs en 1842, le sous-diaconat en 1843, et le diaconat le 1° juin 1844 .

Le Vénérable Père venait de passer au grand séminaire de Strasbourg, quand y arriva l’abbé Thiersé, et son souvenir y était encore tout vivant . Ce fut sans doute ce qui inspira le jeune séminariste, la pensée de la vocation religieuse et apostolique . L’heure redoutable du sacerdoce allait approcher pour lui . La vie et la fonction du prêtre séculier ne pouvaient suffire aux aspirants de son âme ardente .

Quelques mois après avoir reçu le Diaconat, durant les vacances 1844, il alla faire une retraite à la Trappe d’Oelenberg, où il se rencontra avec le P. Bangratz, alors vicaire à Mulhouse . Il prit la résolution de se donner tout entier à Dieu pour le salut des pauvres noirs ; et, le 15 avril de l’année suivante (1845), il arrivait au Noviciat de la Neuville avec son plus jeune frère, Jean-Baptiste, alors âgé de 20 ans, qu’il avait décidé à suivre la même vocation, en qualité de Frère coadjuteur .

Les généreuses dispositions dont il était animé et le pressant besoin que l’on avait d’ouvriers apostoliques, firent abréger pour lui le temps d’épreuve du noviciat . Le 24 août(1845), il fut élevé à la prêtrise par Mgr Mioland et, le 8 septembre (1845) suivant, il faisait avec joie, entre les mains de notre Vénérable Fondateur, sa consécration au Très Saint Cœur de Marie .

2. Le P. Thiersé en Australie

Rudes épreuves – Admirables sentiments
Le P. Thiersé reçut aussitôt son obédience, avec le P. Thévaux, le P. Maurice Bouchet et les Frères Vincent et Théodore, pour la Mission de l’Australie Occidentale, que le Vénérable Père avait cru devoir accepter, sur la recommandation de la Sacrée Congrégation de la Propagande . Le 17 septembre 1845, tous les cinq s’embarquèrent à Gravesand sur la Tamise, à bord de la Frégate « Isabella », et n’arrivèrent à leur destination qu’au bout de 4 mois . On leur confia le District de King-George-Sound . Ils durent s’y rendre à pieds à travers les bois .

Dire tout ce qu’ils eurent à souffrir serait impossible . Le P. Bouchet avait succombé quelques jours après son arrivée en Australie, par suite des fatigues d’une longue et pénible traversée . Les PP. Thévaux et Thiersé se trouvèrent bientôt absolument sans ressources, au milieu des forêts vierges du continent océanien, qui n’avaient à peu près d’autres habitants que les animaux sauvages .

- « Dans tout le District qui nous est confié, écrivait le P. Thiersé, c’est à peine s’il y a 400 habitants, tant européens qu’indigènes ; la population indigène est nomade et vagabonde . Dans un mois on pourrait à peine trouver six sauvages .

« A notre départ, on nous a donné des vivres pour 4 mois, mais pas d’habits, si bien qu’au bout de quelques temps nos vêtements étaient en lambeaux . Après des journées de travail et de fatigues, nous n’avons pour tout lit la terre nue, et une pauvre couverture, et pour nourriture, quelques pommes de terre, que nous mangeons avec la peau, afin de ne rien perdre . Heureux quand nous pouvons prendre des rats, des grenouilles, des kangourou ! Un jour, la faim nous pressait tellement, que nous avons dévoré un corbeau qui, depuis plusieurs jours, servait de jouet aux enfants et qui enfin était crevé … » (lettre des 14 juin et 14 août 1847)

Une telle position n’était pas tenable . Le P. Thévaux réclama plusieurs fois avec instances . Pour toute réponse, il se vit frappé de suspense (Le P. Thévaux ne fut pas la seule victime de coups si arbitraires . Aussi Mgr Brady dut-il bientôt donner sa démission .) Et enfin, sur l’avis du Vénérable Père, il s’embarqua pour Maurice, où le retint le P. Laval, heureux d’avoir un tel collaborateur . Le P. Thiersé restait donc seul Père, sans même avoir un confrère pour se confesser ; et il fut réduit à ce triste et pénible isolement pendant près d’une année . Rien de beau, de touchant comme les lettres écrites par lui à cette occasion . Dans ces lignes pleines d’humilité et de simplicité, on sent battre et palpiter un vrai cœur d’apôtre .

« Mon bien cher Père, écrivait-il à notre Vénérable Fondateur, le 14 juin 1847, bénissons Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très Ste Mère qui, par un amour tout spécial, veut que vous et vos enfants participent aux souffrances de son Cœur immaculé ! Le P. Supérieur part pour la France, mais je crains qu’il ne meurt en route, parce qu’il était malade en partant . Le Fr. Vincent et moi, nous nous étions embarqués avec lui pour nous rendre tous ensemble à Maurice . Le vaisseau partit trois fois, le P. Thévaux avait déjà fait une maladie dangereuse ; je devins très malade à mon tour, et aussi après 48 jours de navigation sur une mer furieuse, qui toujours nous repoussait en arrière, nous fumes obligés de revenir à King-George . On me mit à terre ; à peine y étais-je que le vent devint favorable et le navire partit .

« Me voilà donc maintenant seul ! Je n’ai aucun secours que le cœur adorable de N.S. et le très St Cœur de Marie, notre bonne Mère ; mais il me semble que jamais Marie ne m’a autant protégé . Le jour du départ du P. Supérieur, je sentis d’abord un petit frémissement dans mon cœur et un peu de tristesse . Je me prosternai devant l’image de Marie et lui dis : « Ma bonne mère, je n’ai plus que vous et votre divin Fils » – Aussitôt, toute crainte disparut, et la consolation que j’éprouvai au fond du cœur fut si grande que mon corps même en fut fortifié . Mon mal passa, et je me trouvai plus fort que jamais dans ce pays . J’ai recommencé mes travaux comme auparavant et dans 10 jours je m’en retournerai dans les bois … »

Le bon Père exprime ensuite la consolation qu’il a eue de ramener à Dieu un jeune soldat, un vieux berger qui, depuis 26 ans, n’avait pas fait ses devoirs, une femme noire malade qu’il avait pu baptiser et qui, quelques jours après, pendant l’absence des missionnaires, fut assassinée . Puis, après quelques mots sur le dénuement dans lequel il se trouve, il ajoute paisiblement :

« Je suis néanmoins parfaitement content ici, et je veux bien y rester si vous, mon Père, le voulez ainsi . J’aime beaucoup ce pauvre peuple, quoiqu’il n’ait aucune qualité qui puisse donner de la confiance . Toute celle que j’ai me vient de ce que je sais que le Cœur adorable de Notre Seigneur désire infiniment leur salut et que pour cela il les a toutes données à Marie …

« Quelques méchants protestants se sont déchaînés contre nous . Ils disent en terme de mépris que nous sommes de pauvres gens et que la faim nous fait dévorer des cierges (sic) . Au premier moment, j’ai éprouvé une petite peine à cause de cela ; cependant je suis très content maintenant qu’on me méprise, parce que cela me fait voir combien je suis orgueilleux ; je ne puis pas encore désirer une croix ou une humiliation .

« J’aime la Règle plus que jamais, et je tâche d’y être fidèle pour l’avenir … J’ai depuis huit mois un grand désir d’aimer le cœur adorable de Notre Seigneur . Je prie toujours la Ste Vierge, qu’elle daigne me l’apprendre . Je voudrais être tout à fait à ce Cœur divin ; et pour cela j’ai fait un vœu par lequel j’ai constitué la Ste Vierge dépositaire et maîtresse de toutes les prières et de tous les sacrifices qu’elle m’aidera à faire, pour qu’elle en dispose d’après son intention pour la plus grande gloire de son Fils . Je m’en trouve fort heureux … »

- Il en était là de sa lettre, quand lui arrivèrent enfin des nouvelles de la Neuville, en date du 17 février 1847 .

« Oh ! quelle consolation pour moi, ajoute-t-il, de recevoir de si bonnes nouvelles ! Quel bonheur ! Un Evêque dans notre Congrégation, un nombreux noviciat, tant de bonnes choses par rapport à la Guinée ! Que toutes les croix viennent sur mon cœur ; cela ne fait rien du tout, pourvu que la Congrégation prospère, que le bon Dieu soit glorifié, les âmes sauvées ! Quand je resterais ici, comme enchaîné à ne pouvoir rien faire, cela ne me fait encore rien . Le bon Dieu n’a pas besoin de moi . Bienheureux encore si, par une croix ou une souffrance supportée dans le pur amour de Dieu, je puis expier mes péchés, et n’être plus un obstacle aux grâces que Notre Seigneur veut répandre sur notre petite Congrégation … » (lettre du 24 octobre 1847)

Le Vénérable Père lui avait écrit d’aller rejoindre à Maurice le P. Thévaux par la première occasion qui se présenterait . Cette occasion, il dut l’attendre près d’une année . Mais toujours abandonné sans réserve à la divine Providence, il écrivait : « Je voudrais bien avoir un supérieur et pouvoir me confesser ; cependant, avant tout, ce que le Bon Dieu veut ; je ne désire que de pouvoir l’aimer comme j’en sens le besoin . La Mission d’Haïti me tient beaucoup à cœur . Annoncez-moi donc, mon cher Père, qu’il y a de nos Pères qui y sont établis . J’aurais même le désir d’y aller, si je ne sentais le besoin d’être avec l’un de ces hommes de Dieu, comme le P. Levavasseur et le P. Laval . Vous savez, mon Père, que la pensée d’Haïti m’occupe depuis le troisième mois de mon noviciat . Mais à la volonté de Dieu ! Qu'il soit béni de tout ! … » (lettre du 14 juin 1848)

3) Passage à Maurice

Premiers travaux à Port-Louis et au Grand-Port
Enfin il se présenta un navire faisant voile pour Maurice . Le P. Thiersé s’y embarqua et parvint dans cette île en septembre 1848 (le 20) . L’accoutrement du pauvre missionnaire australien disait assez son état de dénuement . – « Beaucoup de ses contemporains, raconte à ce sujet un journal de Maurice, Le Pays, se souviennent des conditions lamentables de son arrivée ici : il avait pour bagage un bonnet tout usé, présent d’un matelot, et un frac troué, marque de la générosité d’un gouverneur de province . »

Le P. Laval, qui avait grand besoin de coopérateurs, fit au nouvel arrivant le meilleur accueil . Il l’associa à ses travaux auprès des noirs de la Cathédrale de Port-Louis, et le chargea d’une manière spéciale de la jeunesse .

Là, ce n’était pas comme en Australie, les âmes et le travail n’y manquait pas . Aux soins du ministère, le P. Thiersé dut peu de temps après ajouter ceux de l’économat . En tout, il employait un zèle que rien ne semblait pouvoir lasses . Confessions, Catéchismes, visites des malades et autres fonctions occupaient à tel point ses journées que, pour écrire une lettre, il fallait dérober le temps au sommeil .

Lorsque, en 1850 (20 Novembre), le P. Thévaux alla donner une Mission à l’île Rodrigues, le P. Thiersé dut encore ajouter à son travail la desserte de la Petite-Rivière, dont la chapelle est à une lieue et demie de Port-Louis . C’est la première chapelle élevée à Maurice par le vénéré P. Laval ; et c’est pourquoi il avait voulu la dédier au Cœur de Marie . Voici, d’après une lettre du P. Thiersé, quelle était alors sa journée du dimanche, et encore elle était moins fatiguante que celle des jours ouvriers .

« Tous les dimanches, vers 3 h du matin, je pars pour la Petite-Rivière, j’arrive là à l’aurore, je vais au confessionnal jusqu’à 8 h . Alors la Ste Messe, l’instruction, puis les baptêmes . Quand j’ai fini, je monte sur mon âne et je reviens au Port-Louis faire l’instruction à 11 h ½ . A 3 h catéchisme pendant une heure pour la jeune persévérance de la Ste Vierge . A 4 h vêpres et salut . Ensuite réunion du vieux monde pour le rosaire vivant, dévotion qui fait le plus grand bien parmi nos enfants . Tous ces exercices se font à la chapelle de N.D. des Sept Douleurs, que j’aime beaucoup . Enfin à 7 h du soir, je chante les vêpres à la Cathédrale du Port-Louis, et le P. Beaud ou moi faisons alternativement une instruction, chacun son dimanche .

« J’ai toujours un grand nombre de nouvelles conversions, environ 3.000 confessions par mois et 600 communions, beaucoup de baptêmes et de mariages . » (lettre du 2 janvier 1851)

- Ce fut aussi vers cette époque qu’il commença son ministère dans ce vaste Quartier du Grand-Port, qui devait être, jusqu’à la fin, le théâtre de ses travaux apostoliques . Il y était envoyé pour aider M. l’Abbé Henry, curé de la paroisse .

« Depuis 4 mois, dit-il dans la lettre citée plus haut du 2 janvier 1851, j’ai commencé une nouvelle mission à Mahébourg . C’est là que le diable a établi sa citadelle ; j’ai bonne confiance que la bonne Mère va l’en chasser ; elle a déjà fait beaucoup pour cela . J’y vais passer tous les mois 9 jours, le travail ne manque pas . Cette paroisse a un périmètre de plus de 40 milles, de sorte que, pour la desservir, il faut avoir des jambes bien lestes et une bonne monture pour les endroits où les chemins sont impraticables .

« Sans le secours de la Reine du Ciel, je me serais certainement noyé, il y a peu de temps, dans l’une de mes excursions . Pour aller au Vieux-Port, il me faut passer un bras de mer de six milles de largeur . Un jour que je le traversais, un orage épouvantable est venu fondre sur moi au beau milieu du trajet . Mes deux bateliers, très peu habiles pour la manœuvre, ne surent pas parer un coup de mer , qui nous lança contre un rocher . Une assez forte avarie fut la suite de ce choc terrible . La barque se remplissait d’eau à vue d’œil : nous étions perdus si, par des efforts surhumains, nous n’étions parvenus à boucher le trou et à vider l’embarcation . Mais, ajoute-t-il, je m’estime toujours heureux de souffrir un peu, pourvu que les âmes soient sauvées ; et je serais content de donne même ma vie , si je voyais auparavant arriver des confrères pour continuer et mener à bonne fin l’œuvre commencée . »

« Le 26 de ce mois (Avril 1852), je vais avoir une 1° Communion . Ce sont des enfants de 13 à 17 ans, d’une simplicité admirable, d’une grande piété et d’une foi bien vive . Je compte faire ce jour là une procession . L’on y verra pour la première fois une assez belle statue de la Ste Vierge portée en triomphe . Tout le monde, ici, même ceux qui ne pratiquent pas encore, s’en réjouissent d’avance . J’espère que ce premier hommage rendu à Marie dans ce quartier sera le signal de la défaite du démon et de la conversion des âmes . » (lettre du 23 avril 1852)

4) Le P. Thiersé revient en France .

Voyage en Alsace . Mort de son frère, le Fr. Jean-Baptiste
Cependant les fatigues d’un travail pénible et incessant, venant s’ajouter à celles qu’il avait éprouvées en Australie, eurent bientôt mis à bout de forces le généreux missionnaire . « Je me trouve très affaibli, écrivait-il lui-même le 23 avril 1853 ; et au lieu de me reposer, je dois recommencer plus fort que jamais, le Bon Dieu en soit béni ! » - A Maurice, en effet, devant l’abondante moisson qu’il y avait à recueillir, le repos était impossible . On jugea donc nécessaire de faire revenir en France le P. Thiersé, afin de lui faire reprendre de nouvelles forces . Au commencement de mai 1853, il vint à Bourbon, où il s’embarqua quelques temps après avec le R.P. Collin, alors Supérieur Provincial de nos Communautés de Maurice et de Bourbon .

A son arrivée à la Maison-Mère, il apprit la nouvelle de la mort de celui de ses jeunes frères qu’il avait amenés au noviciat . Envoyé en Afrique, le Fr. Jean-Baptiste Thiersé en était revenu au mois de février 1852, atteint d’une grave infection de poitrine . Le P. Thiersé lui écrivait à la nouvelle de sa maladie avec cet accent de foi qui le caractérisait : « Je vous dis franchement que votre maladie ne m’a pas du tout effrayé ; car j’ai pensé qu’elle sera pour vous le plus court chemin pour aller au ciel … Est-ce que nous n’avons pas promis tous les deux à la Ste Vierge, quand nous avons fait nos adieux à Marienthal, que nous voulions sacrifier tout au bon plaisir de Notre Seigneur ? Il ne faut pas revenir sur nos pas maintenant et commencer à marchander avec le bon Dieu … » (lettre du 30 septembre 1852)

Mais le Fr. Jean Baptiste ne put voir cette lettre . Envoyé dans sa famille, à Hochfelden, pour s’y reposer, il avait succombé le 31 juillet (1852) de la même année .

Après la retraite qu’il fut heureux de faire avec ses confrères à N.D. du Gard, le P. Thiersé fut autorisé à aller passer quelques semaines en Alsace . Ce temps de repos, il sut l’utiliser en vrai missionnaire . Ses récits apostoliques, où tout avait l’attrait de la nouveauté, excitaient partout le plus vif intérêt et furent, on peut le croire, la semence de plusieurs vocations . – « Le P. Thiersé, nous dit le P. Bangratz, encore vicaire à Mulhouse, ne tarissait pas quand il parlait des Missions . – « Le P. Thiersé, disait le vénérable curé de Mulhouse, M. Uhlmann, voilà, à mon avis, le type du vrai missionnaire . Quelle foi colossale, et quelle sainte simplicité : Oh ! comme il nous a intéressés et édifiés par ses récits ! » Un tel éloge dans la bouche d’un si saint prêtre honore certainement l’auxiliaire du P. Laval . » (Note du P. Bangratz)

5) Retour à Maurice .

Epidémie . Zèle des missionnaires .
Le P. Thiersé se trouvait maintenant assez bien rétabli, et il avait hâte de repartir pour sa chère Mission de Maurice, qu’il ne devait plus quitter désormais . Il partit de Bordeaux le 13 janvier 1854 et débarqua à Port-Louis le 5 mai (1854) . La nouvelle de son arrivée se répandit bientôt dans la ville .

« En un instant, écrit-il le 13 du même mois (13 mai 1854), nos pauvres noirs s’étaient rendus en si grande foule sur le bord de la mer, que j’avais de la peine à passer . Pendant deux jours, je n’avais rien à faire qu’à dire continuellement : Bonjour, mes enfants, bonjour, bonjour, c’était comme une procession du matin au soir ; toutes les figures étaient rayonnantes de joie . On n’entendait rien que ces mots : ‘Grand merci Bon Dié, le Père li fini vini ; c’est la Ste Vierge qui amène li ; nou ti bien ploré quand li parti ; à cet’heure là nous contents, contents-même » .

Au moment où arrivait le P. Thiersé, le choléra commençait à se déclarer à Maurice . Ce fut pour l’intrépide missionnaire une occasion de montrer tout son dévouement . Il décrivait ainsi quelques mois plus tard les douloureuses péripéties du terrible fléau :

« La ville de Port-Louis faisait pitié ; on n’entendait plus que des pleurs et des gémissements, et le sombre roulement des voitures qui charriaient les morts . mais que de pauvres âmes cela a ramenées au bon Dieu ! L’église ne désemplissait pas de grand matin jusqu’au soir bien tard ; plusieurs se mariaient dans la matinée en bonne santé, le soir ils étaient au cimetière . Tout travail cessait, les boutiques et les magasins restaient fermés ; dans les rues on ne rencontrait que des personnes en pleurs qui courraient pour chercher le médecin et un prêtre … Le bon Dieu avait répandu une si grande grâce sur ces pauvres noirs, qu’on peut dire que tous les malades que nous voyions recevaient les sacrements avec les meilleures dispositions … Oh ! que le bon Dieu est bon et miséricordieux, lors même qu’il châtie ! Il a attendu notre arrivée avant d’envoyer l’ange exterminateur, il a prévenu de sa grâce ceux qui étaient de bonne volonté, il a ramené les autres par la crainte, et leur a laissé le temps nécessaire pour revenir à lui … Tout le monde a travaillé autant qu’il était possible, et même plus, car le bon Dieu nous a donné des forces extraordinaires . Si le bon Dieu ne m’avait fortifié, la douleur et la peine que j’éprouvais à la vue de tant de maux m’auraient causé la mort . » (Port-Louis, 4 août 1854 . Vie du P. Laval, p. 418 et suivantes)

Le choléra fut suivi à bref intervalle de la variole, qui fit presque autant de ravages . A l’exemple du vénéré P. Laval, tous nos confrères continuèrent à rivaliser de zèle et d’intrépidité ; mais en cela le P. Thiersé ne le cédait à personne .

« Nous sommes venus, disait-il, ne temps opportun pour la moisson . Trop indignes pour subir le martyre du sang, nous saurons du moins, s’il le faut, souffrir le martyre de la charité … » D’un autre côté, le salut de ces pauvres âmes, et le grand besoin de prêtres qu’elles ont me fait presque souhaiter de vivre encore longtemps . Nous faisons tous les jours au bon Dieu le sacrifice de notre vie ; toutefois, je demande à Notre Seigneur de me laisser vivre jusqu’au moment où l’épidémie cessera et qu’il y aura assez de confrères pour faire la besogne . » (22 décembre 1855)

L’épidémie disparut, grâce à Dieu, sans avoir atteint le zélé missionnaire, et au moment où il croyait à chaque instant toucher la récompense, elle s’éloignait de lui pour 25 années . Mais c’était pour qu’il la méritât plus brillante et plus riche, par de nouveaux travaux .

6) Le P. Thiersé, curé du Grand-Port .

Grand bien opéré . Chapelles bâties .
L’Abbé Henry, curé de Mahébourg, ayant demandé à se retirer, le P. Thiersé, qui le secondait depuis environs six ans, fut désigné en 1856 par Mgr Collier pour le remplacer . Une fois préposé à l’administration d’une paroisse dont la population s’élevait, d’après le recensement, à 40.000 âmes, en comptant les émigrés chinois et indiens, il dût y établir définitivement sa résidence .

Le nombre des catholiques est aujourd’hui de 15.000 ; à cette époque on en comptait environ 8.000, disséminés sur un vaste territoire à plusieurs lieues de la ville de Mahébourg, qui forme à peine la moitié de la paroisse . Le ministère était donc des plus fatiguants . On en jugera par ces lignes du P. Thiersé : « Avant-hier, écrivait-il en 1867, j’ai fait 11 lieues, partie par la mer, et partie à pieds, sous une pluie torrentielle, pour aller voir 3 malades, et ces sortes de courses sont assez fréquentes . »

Vu leur éloignement du chef-lieu, la plupart des paroissiens étaient nécessairement privés de la Messe le dimanche, et privés aussi de tout instruction religieuse ; d’ailleurs l’église de Mahébourg pouvait à peine contenir 600 personnes . Aussi la situation morale de la paroisse, bien qu’améliorée depuis quelques années, était-elle lamentable : la corruption, l’impiété, le mépris de la religion et de ses ministres y avaient depuis longtemps les coudées franches. Au rapport du P. Thiersé, quand il y commença son ministère en 1850, sur les 8.000 catholiques que l’on comptait alors, il n’y avait certainement pas 100 personnes à fréquenter les sacrements . » (lettre du 7 janvier 1850)

Mahébourg était donc bien, comme il le disait dans son langage expressif, la citadelle du diable à Maurice . Mais le vaillant soldat du Christ n’était pas homme à reculer devant l’esprit infernal . Il se mit résolument en campagne avec les confrères qui lui furent donnés comme auxiliaires, et ses efforts furent bientôt couronnés d’un succès merveilleux .

Il commençait, en chaque quartier, par réunir dans une maison particulière les quelques personnes bien disposées qu’il pouvait rencontrer . Il les encourageait et excitait leur zèle . L’élan ainsi donné se communiquait peu-à-peu ; les premiers convertis se faisaient une joie d’en amener d’autres . Le petit troupeau se grossissait en peu de temps, et alors le Père faisait élever une chapelle pour y dire la Messe et faire les catéchismes . C’était la, du reste, le plan de campagne que l’on avait suivi à Port-Louis, sous la direction du vénéré P. Laval, et partout il avait admirablement réussi . (vie du P Laval. Chapitre 20)

En peu d’années, le P. Thiersé fit ainsi construire jusqu’à 16 chapelles ; les premières, il est vrai, n’étaient, selon son expression, que des paillotes, rappelant bien l’étable de Bethléem . Ensuite, on les agrandit petit à petit, le bois et la pierre remplacèrent le chaume des plus importantes : Dieu seul sait au prix de quels sacrifices ; mais elles n’en étaient que plus chères aux bons noirs qui avaient aidé à leur construction .

Le P. Thiersé avait ainsi réglé le service de ces chapelles : Messes et catéchismes tous les dimanches dans les chapelles principales, à N.D. du Refuge, à St Patrice et à St François-Xavier ; de temps en temps pendant la semaine dans les chapelles moins importantes, Ste Philomène, N.D. du Bon Secours, N.D. des Sept-Douleurs, le Sacré-Coeur, Ste Elisabeth et Ste Anne . – Dans les autres, St Joseph, St Pierre, Ste Madeleine, St Michel, Ste Cécile, la Ste Couronne, N.D. de la Réparation, on se bornait à faire le catéchisme et à entendre les confessions .

L’énumération seule de ces sanctuaires peut donner une idée du travail immense que le P. Thiersé avait sur les bras . Régulièrement il devait avoir deux Pères avec lui ; mais souvent il n’en avait qu’un ; et parfois même l’absence ou la maladie de ses confrères l’obligeait à porter seul le lourd fardeau d’une immense paroisse .

Le P. Guilmin écrivait en 1876 : « Pour suffir convenablement au ministère du Grand-Port, il faudrait six prêtres au moins . Le P. Thiersé, à qui le Bon Dieu avait donné des forces et un zèle au-dessus du commun, a pu, pendant 20 ans, se multiplier et faire face à tout . Le P. Stervennou et moi, bien qu’un peu plus jeunes, nous sommes plus usés que lui . C’est lui qui est encore le plus vaillant des trois . » (9 novembre 1876)

7) Charité du bon Père .

Le quartier de Mahébourg fut cruellement éprouvé par la disette, la famine et l’épidémie en 1865, 1866 et 1867, par des ouragans en 1868 et 1874, par la fièvre dengue en 1872 . Les pauvres noirs, réduits à une extrême indigence, sans pain, sans vêtements, recouraient au P. Thiersé comme à une providence inépuisable : son bonheur, c’était de soulager ; mais que de fois, dans ses lettres, sa tendresse pour ses chers enfants, comme il les appelait à l’exemple du P. Laval, gémit de l’insuffisance de ses ressources : « Ah ! s’écriait-il, si je pouvais seulement avoir 100 f par mois, ou même par jour, à distribuer à mes enfants ! Mais où les trouver ? Je m’adresse à tous les hommes, j’ai recours à tous les saints du paradis . » (4 mai 1866) – « A l’heure qu’il est, disait-il en 1872, nous avons plus de 10.000 personnes atteintes de la fièvre . Il faut trouver médicaments et vivres ; personne ne peut plus travailler, personne dans la plupart des familles qui puisse donner un verre d’eau aux autres ; il me faut par jour un flacon de quinine et 200 biscuits, sans parler du reste . Oh ! priez le bon Dieu pour le pauvre Grand-Port . » (28 mai 1872) – Et en 1876 : « La misère est à son comble depuis le coup de vent . On vient de tous côtés me demander de quoi manger, et je n"ai plus rien à donner, et je ne sais plus à qui m’adresser pour avoir quelque chose . » (27 février1876) – Oh ! si vous vouliez me le permettre, écrivait-il au T.R. Père, je m’imposerais volontiers des privations en faveur des pauvres . J’ai la conviction que le bon Dieu soutiendrait ma santé . » (mars 1870)

Qui ne reconnaît là les tendres accents du Bon Pasteur prêt à tout sacrifier pour ses brebis ?

« L’amour du P. Thiersé pour les pauvres, disaient à sa mort les journaux de la colonie, le portait à ouvrir à tout moment sa bourse pour les nourrir ou les vêtir … Sa porte ne leur était jamais fermée ; il relevait leur courage abattu, et ils s’en retournaient contents, heureux, raffermis … Qui ne lui était redevable de quelque chose ? Qui ne devait, au moins, à cette grande expérience, un conseil salutaire, une consolation dans les moments difficiles de la vie ? quel désintéressement ! Que d’actes de charité accomplis par lui dans l’ombre du silence! Que de maux adoucis ! Que de larmes séchées ! que d’honorables infortunes, sans lui, se seraient éteintes dans l’oubli ! Pendant que sévissait la fièvre, le choléra, on peut dire que, partout où il y avait un malade, on y trouvait les traces des pas du Père Thiersé . Les médecins avouaient n’être jamais entrés dans une maison de pauvre qui n’eût d’abord été visitée par lui . Il semblait avoir le don d’ubiquité . Son dévouement rappelle les plus beaux jours du christianisme . » (journaux de Maurice, le Pays, le Cernéen, etc. 1880)

8) Ecoles chrétiennes
établies au Grand-Port par le P. Thiersé .

Le soin des pauvres et les travaux d’un ministère accablant ne faisaient pas oublier au zélé missionnaire l’œuvre importante des écoles . Il savait trop bien que l’espoir de l’avenir réside avant tout dans la bonne éducation de l’enfance . Le Gouvernement avait à Mahébourg 6 écoles largement dotées, réunissant un total de 250 enfants, tandis que les catholiques, laissés pour ainsi dire à leurs propres ressources n’avaient que de petites pensions ayant ensemble 120 enfants . Il fallait de toute nécessité créer de nouvelles écoles vraiment catholiques, pour empêcher le protestantisme de s’emparer de la jeunesse .

Plein de courage et de confiance en Dieu, le P. Thiersé bâtit d’abord une école de filles et un orphelinat, et le 8 août 1865, il y installe les Filles de Marie . L’orphelinat compte actuellement 240 enfants pauvres . C’était la consolation du bon Père . – « Ces enfants, autrefois si débordées, disait-il, deviennent pieuses et laborieuses, elles se tiennent très bien et leurs travaux à l’aiguille sont admirés de tout le monde . J’ai la confiance que cela deviendra une pépinière de bonnes chrétiennes . (15 septembre 1866 ; 15 novembre 1867)

Le P. Thiersé songeait en même temps à une école de garçons . Il en entreprit la fondation en mettant tout son espoir en son bon patron, St Joseph, auquel il voulait, disait-il, en confier la responsabilité et la direction . Sa confiance dans le glorieux patriarche ne fut pas déçue ; et l’œuvre fut heureusement achevée en 1867 . Ce n’est pas que les difficultés et les contradictions fissent défaut ; le bon Père recueillit à cette occasion une abondante moisson d’épreuves . Mais il n’était pas homme à regarder à la peine lorsqu’il s’agissait de la gloire de Dieu et du salut des âmes, et tous les orages, loin d’empêcher l’établissement de l’œuvre, ne servirent qu’à la consolider .

Trois autres écoles furent fondées par ses soins en 1874, et deux en 1875 ; c’était donc 9 écoles catholiques, donnant une éducation chrétienne à plus de 1.000 élèves, et dont les succès, appréciés et loués par les inspecteurs, ont fait rapidement décliner les écoles rivales et hétérodoxes . Le P. Thiersé s’en réjouissait devant Dieu ; car il voyait par là la plus grande partie de la jeunesse arrachée à l’hérésie .

Pour résumer les œuvres accomplies à Mahébourg et au Grand-Port par le P. Thiersé, laissons parler un interprète de la population mauricienne : « A son arrivée au Grand-Port, la religion était le privilège du petit nombre . Le R.P. Thiersé arrive, et de toutes parts les œuvres de charité s’organisent : l’église de Mahébourg s’achève, 16 chapelles s’érigent dans les campagnes, un orphelinat fonctionne sous la direction des religieuses de Bourbon, deux écoles de garçons s’installent à Mahébourg, d’autres s’élèvent dans tout le district, et au moyen de ces véhicules, de ces canaux, le souffle divin de la foi coule et pénètre jusque dans les couches les plus infimes de la population . »

« Pour mener à terme ces entreprises, il fallait toute la fermeté et l’indomptable énergie du P. Thiersé . Créé à l’école des difficultés, rien ne l’arrêtait . L’hostilité le voyait avec cette confiance qu’inspirent seules la conscience du droit et la sainteté d’une cause . Cependant à cette fermeté, parfois nécessaire, il joignait dans l’exercice ordinaire de ses fonctions, une douceur, une aménité, une simplicité de manières qui lui attiraient la confiance et la sympathie . A de vertes semonces succédait bientôt un calme parfait où les accents d’un père affligé, mais clément, se faisaient entendre et allaient jusqu’au cœur de l’enfant rebelle . » (articles nécrologiques des journaux de Maurice . )

9) Mission du P. Thiersé au Cap .

Une fois seulement, depuis son retour à Maurice, le P. Thiersé eut à interrompre son pénible et fatigant ministère au Grand-Port . Le Vicaire Apostolique du Cap de Bonne Espérance, Mgr Grimley, avait exprimé au T.R. Père Schwindenhammer, en 1870, son vif désir de nous confier une grande partie de son vicariat, dépourvue de prêtres, la Préfecture actuelle du Cap Central . Le P. Thiersé, parlant la langue anglaise, fut chargé par le T.R. Père d’aller examiner les choses sur les lieux . Il s’acquitta parfaitement de cette mission de confiance, donnant avec soin tous les renseignements demandés, et exposant impartialement les raisons pour et contre l’acceptation . Mais, après mûr examen, et malgré les instances faites encore depuis lors de différents côtés, la Maison-Mère ne crut pas devoir accepter cette nouvelle œuvre, à cause des difficultés d’y observer la vie de communauté, et surtout des besoins nombreux de personnel de nos autres Missions d’Afrique .

Le P. Thiersé était parti pour le Cap en décembre 1870 . Il rentra à Maurice le 8 avril 1871, et reprit avec un nouveau zèle ses œuvres ordinaires auprès de ses chers noirs, pour les continuer désormais sans la moindre interruption jusqu’au terme de sa carrière .

Nous n’entrons pas ici dans plus de détails sur ses travaux apostoliques : c’est un récit qui appartient spécialement au Bulletin et aux Annales de la Mission de Maurice ; nous nous bornons à ajouter quelques mots pour notre commune édification, sur les traits les plus caractéristiques, comme missionnaire et comme religieux, de ce regretté confrère .

10) Portrait du P. Thiersé
comme missionnaire et religieux .


Le P. Thévaux qui fut longtemps le supérieur du P. Thiersé, et qui était à même de le connaître parfaitement, en traçait ainsi le fidèle portrait dans son compte-rendu de 1867 .

« Le P. Thiersé est toujours un bon et vaillant missionnaire, rempli de zèle et d’ardeur pour le salut des âmes . Les années, les fatigues, les maladies, rien n’est capable de tempérer cette ardeur qui est toujours la même . C’est toujours un saint homme, plein d’amour de Dieu, de délicatesse de conscience, un bon religieux, aimant la règle, et fidèle à toutes ses observances . Je trouve seulement qu’il est un peu excessif en certaines choses, du moins quant à l’action extérieure . »

Ce que le P. Thévaux fait remarquer dans ces dernières lignes, au sujet du bon Père dont nous faisons la notice, c’étaient, comme on dit, des défauts de ses qualités . Celui-ci, du reste, était le premier à reconnaître les défectuosités auxquelles pouvait l’entraîner parfois l’ardeur de sa nature . Et loin de chercher à les excuser, il était porté plutôt à les exagérer, il recevait avec reconnaissance les avis et observations qu’on lui faisait, tâchant de les mettre à profit de son mieux .

Il n’avait d’ailleurs rien de caché pour ses supérieurs, surtout pour ses supérieurs majeurs, et s’en remettait pleinement à eux en tout ce qui le concernait, les envisageant toujours avec un esprit de foi : « Si nous étions, disait-il, de bons religieux, nous serions tous contents des supérieurs que la divine Providence nous donne . » (16 août 1867) – Tous les ans, régulièrement, il écrivait avec confiance et simplicité au T.R. Père Général pour lui rendre compte de son année, et lui demander humblement ses conseils, afin de devenir de plus en plus fidèle à la grâce de Dieu .

La Congrégation et ses œuvres avaient toutes ses affections . Il était heureux de lui appartenir, parce qu’en travaillant au salut des âmes, on y trouve en même temps tous les moyens de se sanctifier soi-même . « J’ai éprouvé, disait-il, un grand plaisir en lisant le Bulletin , quand j’ai vu le nombre si considérable des scolastiques et novices . Que le Bon Dieu bénisse notre petite Société et la fasse fructifier pour sa gloire et le salut des âmes ! C’est là mon grand désir . Pour ce qui nous concerne, nous ferons toutes les économies possibles pour venir en aide à notre Maison-Mère, car nous l’aimons tous comme un enfant aime sa mère . » (13 mai 1854 – 6 janvier 1875)

En écrivant après la retraite annuelle de 1874, il reconnaissait avoir reçu de la bonté divine deux faveurs : l’une par rapport à la Ste Eucharistie ; l’autre, un désir et un amour singulier pour l’observance de nos saintes règles . (2 février 1874 )

C’est dans les tribulations et les difficultés que se manifestait surtout l’esprit de foi et de générosité du bon P. Thiersé . Le zèle et l’énergie qu’il déployait contre le vice et les désordres, lui ont attiré plus d’une fois des avanies et des outrages . Il supportait tout cela en vrai disciple de Jésus-Christ . – « Mon Dieu, disait-il dans une de ces occasions, il est bien juste que je sois humilié ; j’accepte cette humiliation de tout mon cœur, donnez-moi la grâce de m’y complaire, seulement daignez réparer le mal que je puis avoir fait par mes sottises … Je suis au reste, un bien pauvre sire pour faire quelque chose de bon pour le divin Maître . » (3 mars 1864)

Il ajoutait plus tard : « Les peines, les croix, les insultes et les outrages qui me sont assez souvent prodigués au Grand-Port, ne m’émeuvent presque plus ; je conserve le calme, quand ce ne sont que des choses à moi faites ; je me trouve, sous ce rapport, dans une espèce d’indifférence … Et Dieu bénit mon ministère … Si je pouvais faire mon oraison et si je n’avais tant de péchés, je serais l’homme le plus heureux du monde . Pour ces deux choses, je ne puis que gémir devant Dieu et ne compter que sur sa divine miséricorde … J’aime toujours le travail, quelque pénible qu’il soit ; mon cœur est toujours attaché à ces pauvres noirs, quelque vicieux et méchants qu’ils soient dans certaines circonstances . Je les aime, et si je pouvais les sauver en donnant ma vie, à l’instant, ce serait avec bonheur que je la donnerais . » (23 août 1870)

Ses lettres sont pleines de ces sentiments d’humiliation qu’il exprime de la façon qui lui est propre . – « Il n’était, disait-il, qu’un chiffon de piété . Il n’aimait pas le bon Dieu, et vivait trop en dehors de lui . Pour le bien opéré par ses travaux, c’est le bon Dieu et Ste Philomène qui avaient tout fait . Combien de fois, me suis-je dit, ajoute-t-il ailleurs : si j’avais seulement le cœur de mon chien qui m’aime pour rien ! Ce pauvre animal sera peut-être un jour là pour me condamner . » (18 août 1859)

11) Dévotion au Sacré-Cœur, à la Ste Vierge .

On a vu par les lettres qu’écrivait d’Australie le P. Thiersé, quelle était sa dévotion pour le Cœur Sacré de Jésus . C’était avec la Passion du Sauveur, le sujet qu’il aimait le plus à méditer ; c’est là qu’il puisait le courage et la force dont il avait besoin . « Il écrivait à son frère malade : Prenez la croix pour votre matelas, la couronne d’épines de Notre Seigneur pour votre oreiller ; la lance, les fouets et les clous pour votre couverture : ainsi couché, vous reposerez bien mieux . Voilà, disait-il humblement, tout ce que j’ai lu et appris dans les livres . » (30 septembre 1852)

Mais il l’avait appris mieux encore par sa propre expérience .
Il était une fois tourmenté d’un violent mal de dents . Loin de s’en plaindre, il trouvait que de mal lui rendait de grands services, en lui permettant de passer les nuits en prière . (1854)

En 1866, il resta quelques temps comme paralysé par suite de violentes douleurs rhumatismales . Le divin Maître récompensa sa générosité à les supporter pour son amour, par de douces consolations : « Moi, disait-il, qui avais tant de peine à prier et à faire oraison, je reste maintenant les nuits entières à prier, et je vois presque sensiblement Notre Seigneur portant sa croix sur ses épaules meurtries . Je ne trouve nullement le temps long la nuit . Je me traîne d’un côté et de l’autre, et je suis heureux … J’ai défendu aux Filles de Marie de demander ma guérison . Je leur ai permis seulement pour que le bon Dieu me donne l’usage de mon bras, la patience, l’amour des souffrance et la force de pouvoir travailler, tout en me laissant mes douleurs . Eh bien ! ces bonnes Filles ont obtenu cela de Dieu . Oh ! que je suis obligé d’admirer la bonté de Dieu et la valeur de la prière ! Je puis faire mon ouvrage, et mon âme est dans la joie . Je regarde cela comme une des plus grandes grâces que Dieu m’ait faites . Remerciez le bon Dieu pour moi et avec moi . » (4 mai 1866)

Un mot aussi de sa dévotion envers la Bonne Mère, comme il se plaisait à appeler la Ste Vierge .C’était une dévotion toute filiale, aussi tendre que simple et naïve . Il avait une prédilection pour une de ses chapelles, celle de N.D. des Sept Douleurs – « C’est là mon lieu favori, écrivait-il, surtout si j’éprouve des misères … Qu’il est bon de souffrir aux pieds de Marie dont le cœur est percé de sept glaives !.. C’est là que la Bonne Mère me fait bien souvent des reproches . Il me semble qu’elle me dit : « Regarde maintenant si tu es digne de moi . » Je ne quitte jamais cette chapelle sans éprouver un grand soulagement et de nouvelles forces dans mon âme . Si j’étais aussi fidèle enfant du St Cœur de Marie, que Marie m’est une bonne Mère ! » (1 janvier 1851)

Il était parfois tourmenté par de violentes peines intérieures . Notre Seigneur voulait ainsi sans doute purifier de plus en plus son âme, pour la remplir de son divin amour . Quelquefois aussi la grâce inondait son cœur et absorbait en quelque sorte toutes ses facultés . C’est ce qu’il éprouvait surtout pendant ses retraites : « Cette année le bon Dieu m’a fait la grâce de pouvoir faire les exercices annuels au Port-Louis avec mes confrères . J’avais bien peur d’en être encore privé, car huit jours auparavant je fus atteint de la dysenterie qui, pendant les mois d’avril, de mai et de juin, a fait tant de victime au Grand-Port . Heureusement, au bout de trois jours, j’ai réussi à combattre ce terrible mal et ainsi j’ai pu suivre tous les exercices de la retraite . Ces quelques jours de recueillement ont fait du bien à mon âme : j’ai commencé à ne plus travailler machinalement, mais à faire tout en union avec Dieu, à bien observer nos saintes Règles et à les faire observer dans notre Communauté qui d’ailleurs marche assez bien, ayant de bons confrères avec moi . Je bénis le bon Dieu et le remercie, ainsi que vous, mon T.R. Père, de m’avoir procuré cette consolation dans mes vieux jours . »

12) Derniers instants .

Funérailles, monument, épitaphe .
Le bon Père, épuisé par les fatigues et les maladies, pressentait qu’il approchait du terme de sa carrière . Le P. Corbet, supérieur Provincial, écrivait le 15 septembre 1879 : « Le P. Thiersé est bien faible depuis une quinzaine de jours . Il ne mange presque pas, et sa digestion est très difficile : il croit qu’il n’est pas éloigné de sa fin . »

Le P. Thiersé ajoutait lui-même deux mois plus tard : il ne faut plus compter sur moi . je dépéris à vue d’œil ; je n’ai plus que la peau sur les os . J’ai faim et soif, et ne puis ni manger ni boire rien de fortifiant . Pas moyen d’avaler ; il y a là, sans doute, une paralysie des organes . Que le bon Dieu soit béni de tout ! Je veux ce que veut Notre Seigneur . Je ne désire ni la vie ni la santé, ni la délivrance de mes douleurs ; seulement que le bon Dieu me reçoive dans sa miséricorde ! Je demande pardon à Dieu, à vous, mon T.R. Père, et à toute la Congrégation, de ce que j’ai pu faire de défectueux depuis 35 ans . Je vous remercie pour tous les avantages que j’ai trouvés dans mon saint Institut . »

« Dans ses derniers moments, raconte un mauricien, ce bon Père édifiait ses nombreux visiteurs par une patience, une résignation qui leur remuait le cœur . Il nous souvient de lui avoir dit un jour dans une de nos conversations particulières : - Vous avez bonne mine aujourd’hui, mon Père ; j’espère que vous sortirez bientôt de là . – Ah ! mon enfant, me dit-il, ma vie est terminée : il y a là (mettant la main sur sa poitrine) quelque chose qui est sans remède . Mes affaires en ce monde sont réglées, et, dans quelques jours, dans l’autre monde, je rendrai compte de mon ministère . » (Le Pays . 19 mai 1880)

Voici les détails que transmettait sur ses derniers instants le P. Roserot, qui avait succédé au P. Corbet comme supérieur provincial à Maurice :

« Port-Louis le 21 avril 1880 . – Le bon P. Thiersé approche de plus en plus de sa fin . Il y a huit jours, il était un peu mieux ; mais ce n’était qu’une accalmie . Les symptômes deviennent de plus en plus graves . Il y a quinze jours, une crise a failli l’emporter ; Appelé par dépêche, je suis allé le voir . Mgr Scarisbrick est venu aussi . Le cher malade a conservé toute sa lucidité d’esprit : il est admirable de piété, de résignation, quoique les souffrances soient continues et bien cruelles . »

« 19 mai 1880 . – Le bon P. Thiersé s’est éteint doucement après de bien vives souffrances, le mardi à 8 h ¼ du matin, assisté par le P. Hattler . Il avait reçu l’Extrême-onction le 26 février et n’a cessé depuis lors d’être menacé d’expirer d’un moment à l’autre . Ses douleurs, pendant les dernières semaines, étaient devenues intolérables ; mais il s’était offert au Sacré Cœur pour tout souffrir pour Dieu . Son admirable résignation a édifié tous ceux qui ont eu le bonheur de l’approcher .

« A six heures du soir, ajoute le Bulletin de la Communauté, les restes du cher défunt furent placés dans une chapelle ardente où ils demeurèrent jusqu’à jeudi, jour de l’inhumation . Aussitôt tous les abords de l ‘église étaient inondés d’une foule accourue de tous points du district . Hommes, femmes et enfants, riches et pauvres, grands et petits, formaient un va-et-vient incessant de leurs demeures à l’église … Après la fermeture du cercueil, on a exposé le buste du défunt (fait par le Fr. Vital), et d’une ressemblance parfaite : ainsi les paroissiens n’ont pas cessé jusqu’au dernier moment de jouir de la vue de leur curé . » (Le Pays)

« Les funérailles ont eu lieu aux frais de la fabrique avec la plus grande solennité . La paroisse n’a pas voulu consentir à ce que le corps du défunt fût transporté à la Petite-Rivière auprès de nos autres Pères . Il a été inhumé dans le cimetière de la paroisse . Mgr l’Evêque assistait lui-même au cimetière . Plus de 25 prêtres, y compris les Pères de la Congrégation, ont pris part à la cérémonie . La Grand-Messe a été chantée par le P. Roserot . Après la Messe, M. l’Abbé Masuy a raconté, en termes bien éloquents, les travaux apostoliques et les souffrances du R.P. Thiersé . Nous n’avons malheureusement pas recueilli ses paroles, que notre propre émotion ne nous permettait pas d’écrire. Il avait pris pour texte ces paroles de l’Ecriture : Patientia autem opus perfectum habet (Jacques 1, 4) . Après cette allocution, Mgr a fait l’Absoute, puis le cortège s’est dirigé vers le cimetière . Pendant ce parcours qui a duré plus d’une demi-heure, le corps, au lieu d’être placé comme d’habitude dans le corbillard, était porté par les bons noirs qui se disputaient cet honneur . Au cimetière, Mgr a béni la fosse et récité les dernières prières . Le bon M. Vallet, grand ami du P. Thiersé, qu’il avait assisté libéralement de sa bourse dans ses œuvres de charité, était là et versait des larmes . Son gendre, M. Dumontey, administrateur de Ferney, était là ainsi que M. Adelson Pierrot, président de la fabrique, M. Ad. Macquet et M. Dalais, tous fabriciens . Beaucoup de personnes étaient venues de Curepipe, des quartiers du Port-Louis, notamment M. Letard, qui rappelait avec émotion avoir assisté au débarquement du P. Thiersé, lors de son arrivée dans la colonie … Tous les journaux ont parlé de notre défunt en termes émus et reconnaissants … »

Les paroissiens du Grand-Port prirent aussitôt la résolution d’élever un monument à leur regretté pasteur .Un comité d’hommes honorables et influents se forma immédiatement ; chacun voulut contribuer à cet acte de piété filiale, à cet hommage rendu à la religion et à la vertu . « Ce monument, lisons-nous dans le Cernéen, journal de Maurice, est d’un aspect imposant par sa forme, par ses proportions grandioses, la beauté et la dimension des pierres, et surtout pas son caractère grave et religieux . Le plan en a été fait par le Fr. Vital . Il a été parfaitement exécuté par l’entrepreneur, M. Latreille, sous l’habile direction de M. F. Lesueur, architecte .

« Le jeudi, 26 octobre 1882, a eu lieu la translation du corps . Une foule immense accompagnait la dépouille mortelle du vénérable missionnaire, qui a laissé des souvenirs impérissables dans sa paroisse . Une douzaine de créoles parmi ses nombreux convertis, laissant de côté le corbillard, ont porté sur leurs épaules, sur un parcours d’environ un mille, en se relayant à l’envi les uns les autres, les restes de celui qui fut leur père, leur bienfaiteur . A 6 h ½, le corps fut déposé à l’église, et à 10 h ½ a été célébré le service solennel, présidé par Monseigneur, assisté d’un assez nombreux clergé . Après les dernières prières, le corps fut inhumé dans le tombeau élevé dans la partie septentrionale du terrain de l’église, vis-à-vis du couvent . Le monument était littéralement couvert de fleurs et de bouquets .

Voici l’épitaphe, dont la rédaction fut arrêtée par le comité de construction dans sa dernière séance :

Ci-git
F. J. Thiersé,
Curé du Grand-Port,
Vrai père des pauvres .
Il les évangélisa
avec un zèle infatigable,
Leur fit ériger de nombreux
Sanctuaires et écoles,
Leur prodigua tous ses soins
dans leurs souffrances .
Les paroissiens reconnaissants
Lui ont élevé ce monument .
1882 .


« La journée du 26 octobre 1882, dit en terminant le journal déjà cité, restera l’un des plus mémorables du Grand-Port ; elle formera une intéressante page de l’histoire locale de ce beau district, puisqu’elle rappellera la vie d’un ecclésiastique qui a su ainsi honorer le sacerdoce, et qu’elle dira en même temps le témoignage de reconnaissance de la population au milieu de laquelle il a exercé son ministère pendant un quart de siècle . »

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