Le P. Gustave UEBERALL,
du district de la Guadeloupe, décédé à Basse-Terre, le 8 septembre 1938
à l'âge de 55 ans, après 40 années passées dans la Congrégation, dont 31 ans et 11 mois comme profès.


Le P. Gustave Ueberall naquit le 26 novembre 1883 à Odern, charmante localité sise dans la vallée de Wesserling, Haut-Rhin. Ses parents étaient de la classe ouvrière, aisés, surtout profondément chrétiens. Leur maison se trouvait proche de la chapelle de Notre-Dame de Bon-Secours, lieu de pèlerinage très fréquenté. Sa maman et plus tard, après la mort de celle-ci, sa belle-mère considéraient comme un honneur de s'occuper de l'entretien de cette chapelle. Nul doute que le petit Gustave les y accompagnait souvent et qu'il a puisé là, aux pieds de la Vierge bénie, son amour pour Marie.

Il perdit trop tôt sa mère qu'il aimait tendrement. Heu­reusement pour son jeune cœur si sensible, sa seconde mère lui manifestait une affection vraiment maternelle et Gustave savait la mériter par sa filiale et respectueuse soumission.

Sa vocation s'explique aisément quand on connaît le milieu familial où il est né, le milieu paroissial où il a reçu la première instruction religieuse. De fréquentes premières messes, si solennelles en ces pays de foi, ne pouvaient pas ne pas impressionner cette âme d'adolescent en laquelle Dieu avait déposé le germe de la vocation sacerdotale.

Sa vocation spiritaine s'éveilla à la vue de nos Pères missionnaires, originaires du pays, les Pères Gwiss et Wühelm particulièrement.

Après sa première communion, Gustave est admis à l'école apostolique de Langonnet ; il a quinze ans et il entre en septième.

Les archives ne contiennent point de renseignements sur ces premières années de sa formation ; mais le choix qu'en firent ses supérieurs pour la fondation du petit sco­lasticat de Lierre, en Belgique en 1900, semble être un témoignage de sa bonne conduite.

En septembre 1903, nous le trouvons à Cellule en classe de seconde. Hélas ! dès le mois de décembre ce fut la fer­meture de la maison de Cellule, et l'exil.

Gentinnes, en Belgique, reçut les exilés de Cellule aux­quels s'adjoignirent les apostoliques de notre maison de Merville. C'est en exil que Gustave Ueberall acheva ses études secondaires. Il n'en gardera pas un bon souvenir : ce changement de directeurs et professeurs ne fut pas heu­reux pour le jeune aspirant - il avait la douloureuse impres­sion d'être incompris - ; l'amour de sa vocation lui permit cependant de supporter l'épreuve de cette incompréhension ainsi que la peine de se voir retardé à la prise d'habit jusqu'à la fin de sa rhétorique.

Admis au noviciat en 1905, à Chevilly, il s'y trouve heu­reux comme le poisson dans l'eau. Son âme affective goûte les joies du Thabor et c'est avec un bonheur sans mélange qu'il émit ses premiers vœux le ler octobre 1906.

Dès le lendemain, le jeune profès passe au grand scolas­ticat où il achèvera régulièrement ses études philosophiques et théologiques, avançant successivement aux ordres sacrés, donnant constamment entière satisfaction à ses directeurs. Ses notes en sont la preuve : piété et vertu, très bien. Son caractère cependant reste « sensible, impressionnable, sautillant » avec une nuance de candeur, mais profondément bon. M. Ueberall s'était d'ailleurs fait du sacerdoce une idée trop élevée pour ne pas s'efforcer d'être un prêtre selon le Cœur de Dieu. Quel bonheur d'être prêtre ! Il ne savait pas mieux exprimer sa joie qu'en demandant à Dieu cinquante ans de sacerdoce.

Dans sa lettre de demande d'admission à la consécration apostolique, il exprime « son désir sincère de faire de son mieux » là où l'obéissance l'enverra. Ses préférences, il les indique en deux mots : « beaucoup de ministère, peu de constructions. »

Sa première obédience le place au noviciat de Louvain comme sous-maître des novices-clercs. Il s'y trouve à sa place, très heureux, trop heureux à son avis ; et quand d'Afrique lui arrivent des lettres de confrères amis, sa conscience se trouble : « Malheur à moi si je cherche mes aises, » écrit-il à Mgr le T. R. Père, le 12 juillet 1913 ; puis exposant son état d'âme, il attend de son vénéré Supérieur général le mot d'ordre libérateur.

La réponse ne se fit pas attendre, et trois mois après, le cher P. Ueberall s'embarquait joyeux pour la mission du Katanga-Nord. Mgr Callewaert, alors Préfet apostolique, J'envoie à Kulu, station en pleine période de fondation, pour remplacer le P. Catry, malade. Le P. Ueberall, âme impres­sionnable et délicate, eut quelque peine à se faire à cette nouvelle vie, à se faire nègre avec les nègres. Néanmoins, sous la sage direction de son supérieur, qui le connaissait et le comprenait, il se mit courageusement à l’œuvre, à l'étude de la difficile langue indigène le kiluba, et peu à peu se lança dans le ministère.

Lorsque, quelques mois plus tard, son supérieur épuisé par un travail excessif dut quitter Kulu, le P. Ueberall prit la direction de la Mission. C'était la grande guerre. Le per­sonnel était réduit au minimum, le P. Ueberall resta neuf mois sans voir un confrère prêtre.

Ce n'était pas un bâtisseur, mais un missionnaire vrai­ment zélé et menant une vie intérieure soigneusement entre­tenue. Il faisait sien le programme des Apôtres : « Nos vero orationi et ministerio verbi instantes erimus », être tout entier à la prière et à la prédication.

La tribu des Baluba se montrait d'abord hostile à l'évan­gélisation, les protestants de leur côté menaçaient d'encer­cler la Mission de Kulu. Le P. Ueberall, par ses fréquentes prières au pied du tabernacle, par ses catéchismes et ses instructions toujours préparées à la chapelle sous le regard de Jésus-Hostie, sut peu à peu gagner son monde noir, entraver l'avance protestante. La Mission de Kulu, dès lors, permit les plus belles espérances. Mais la santé du P. Ueberall était à bout. Il sollicita et obtint la permission de rentrer en France dans le courant de l'année 1923.

Dès le mois de septembre, l'obéissance lui confie la direc­tion de l'école apostolique de Neufgrange (Moselle). Il s'y dévoue corps et âme, se charge encore des retraites sacer­dotales mensuelles, demande des prédications dans les paroisses.

Après deux ans de séjour en Lorraine, il la quitte, non sans quelque regret, pour prendre rang dans le clergé de la Guadeloupe.

Disons tout de suite qu'il s'adapta facilement à ce minis­tère paroissial. Son expérience des âmes était déjà longue.

Quelques jours après son arrivée dans cette colonie, il fut désigné pour le poste de Grand-Bourg, Marie-Galante. Sa robuste santé lui permit d'assurer seul, pendant cinq années, le service de cette paroisse qui compte plus de dix mille âmes. Sa méthode d'apostolat apparaît très nettement dès le début de son ministère paroissial. Elle restera toujours la même, elle ne fera que s'accentuer avec les années. Elle consistait à donner à ses paroissiens une solide instruction religieuse par le catéchisme et la prédication, à leur inculquer aussi une vraie dévotion envers la sainte Eucharistie, dévo­tion qu'il nourrissait lui-même.

Le meilleur missionnaire, a-t-on dit, est celui qui sait faire un bon catéchisme. Le P. Ueberall s'y donna avec ardeur. Le catéchisme fut sa grande préoccupation. Ses dix années d'apostolat en Afrique l'avaient préparé à cette tâche difficile. Pour lui, l'heure du catéchisme était sacrée. Il la préparait soigneusement, s'efforçant de la rendre vivante et de l'adap­ter à son jeune auditoire. Il contrôlait minutieusement les présences, s'enquérait des motifs d'absence ; il félicitait, mais il blâmait sévèrement aussi. Lui, d'ordinaire très calme, ne pouvait retenir son indignation devant l'insouciance de cer­tains parents ; en termes vifs parfois, il s'efforçait de secouer leur torpeur et de les rendre conscients de leurs devoirs sur ce point.

C'est encore l'instruction de ses paroissiens qu'il poursui­vait et complétait dans ses prédications. Volontiers, il pre­nait la parole. Chaque dimanche, il prêchait ordinairement deux fois, ses réunions paroissiales comportaient une ins­truction. Il était heureux, en outre, de rendre service en acceptant de prêcher des retraites ou des fêtes patronales.

Ses instructions étaient pieuses et édifiantes. Elles s'adres­saient plus au cœur qu'à la raison : l'auditoire étant peu préparé pour les hautes spéculations.

Il les donnait avec un tel accent de conviction, une telle émotion parfois, que l'on ne pouvait se défendre d'être soi­ même ému.

Les hommes constituaient son auditoire de choix. Il les voulait à la messe et pour les y attirer il leur faisait une visite, les invitait amicalement, rappelait la promesse faite et non exécutée. Il les groupait pour la retraite pascale. C'est pour eux seuls qu'il établit dans les paroisses qui lui furent confiées le pieux exercice de l'Heure sainte. Il réussit pleinement : à la cathédrale de Basse-Terre, plusieurs cen­taines d'hommes répondaient fidèlement à son appel la veille des premiers vendredis de chaque mois.

Cette dévotion envers Notre-Seigneur qu'il voulait répan­dre lui était chère, il la mettait lui-même en pratique. Il faisait de longues stations devant le tabernacle. C'est là qu'il récitait son bréviaire, qu'il traitait des intérêts des âmes, qu'il confiait au divin Maître ses joies, ses espoirs, ses craintes, ses déceptions, ses tristesses. Le P. Ueberail don­nait souvent l'impression de semer dans les larmes. Nature sensible, impressionnable, éprise d'une perfection difficile­ment réalisable, il souffrait de l'indifférence des uns, de la légèreté et de l'inconstance des autres. Il s'étonnait que les efforts de son zèle ne soient pas mieux récompensés, il eût voulu que les âmes suivissent plus généreusement la voie qu'il leur traçait. Pour lui, la paroisse était une famille; le prêtre qui en est le père devait se dévouer sans compter, mais, de leur côté, les paroissiens lui devaient l'obéissance et la soumission, comme des enfants.

C'est là un idéal difficile à atteindre dans un pays où les volontés manquent de trempe, où la mobilité des sentiments est très vive, où trop souvent le caprice et la fantaisie rem­placent la raison. Ce fut pour lui une source de peines, parfois cuisantes.

S'il souffrit des difficultés inhérentes au ministère sacer­dotal, il épargna toujours aux autres la souffrance. Il ne chercha jamais à faire de la peine. Il fut ami de la paix et de la concorde. Il n'eut jamais de difficultés sérieuses ni avec ses confrères, ni avec ses paroissiens, ni avec les autorités civiles. Par tempérament, il n'était pas combatif, il préférait patienter, temporiser, plutôt que d'user de violence. On le respectait et on l'aimait, car on devinait, chez lui, le prêtre tout dévoué, le pasteur uniquement soucieux du bien des âmes. On excusait facilement les excès de son zèle, on savait bien qu'il n'avait en vue que la correction d'un mal. Tous rendaient hommage à son zèle, à sa dignité, à ses vertus sacerdotales.

Les sympathies ne lui furent pas ménagées et quand il dut changer de paroisse, son départ causa des regrets una­nimes. Voici le témoignage qu'en pareilles circonstances lui rendait le Maire d'une paroisse en écrivant à Monseigneur -« Je ne puis, Monseigneur, vous cacher la tristesse infinie que nous fait éprouver l'appel à une autre paroisse de notre cher curé, le R. P. Ueberall, dont, au cours de dix-huit mois de cordiale collaboration, nous avons pu apprécier toute la noblesse de cœur et toute l'élévation de l'esprit, Du tact exquis de l'homme, ainsi que de l'exemple édifiant et réconfortant du prêtre, la paroisse conservera jalousement un pieux et inaltérable souvenir. Aussi bien, si méritée que soit la récompense que vous avez daigné accorder à son curé, il n'en est pas moins vrai que votre décision enlève à des paroissiens un père vénéré et, à leur maire, un collaborateur éminent et un ami précieux. Souffrez donc, Monseigneur, que, puisant seulement dans la foi ardente qui anime nos aimes la force de supporter dignement notre profonde et légitime affliction, nous puissions espérer que vous daignerez donner à notre toujours regretté curé un successeur qui puisse con­tinuer son oeuvre d'éducation sociale et de fraternité chrétienne, et à qui nous donnerons sans compter notre concours le plus bienveillant. »

Le P. Ueberall fut aussi un bon religieux. Il observa son règlement avec la même régularité consciencieuse que l'on remarquait dans l'accomplissement de sa charge de pasteur. Ce fut là, à n'en pas douter, le secret de son succès près des âmes.

Au mois d'avril 1936, il partit pour un congé. Il eut la joie de passer plusieurs mois dans sa chère Alsace et de revoir les siens. Il nous revint en janvier 1937. Visiblement il paraissait soucieux. On sut plus tard que le médecin avait constaté chez lui des prédispositions à la congestion céré­brale. Il en avait été fortement impressionné. Il surveilla son régime, mais ne retrancha rien à son activité sacerdo­tale. Il lui en coûtait de voir un médecin et il espérait que sa santé, jusque-là si robuste, lui permettrait encore de réa­liser des projets qui lui tenaient à cœur : il avait entrepris la construction d'une chapelle de secours dans les faubourgs de Basse-Terre.

Au mois de juillet, il ressentit les premières atteintes de la congestion qui devait l'emporter. Il se demanda si, désormais, il lui serait possible de distribuer la sainte com­munion. Il résolut de prendre quelques semaines de repos et de revoir Grand-Bourg, cette paroisse où il avait débuté et à laquelle il était resté très attaché. Il partit le 18 août Dans la matinée du 1er septembre, une première attaque survint : un bras puis une jambe furent paralysés. Les reli­gieuses de l'hôpital accoururent près de lui et lui prodiguè­rent des soins. Le lendemain, le Père avait presque com­plètement perdu l'usage de la parole. Le dimanche 4 sep­tembre, on le transporta à l'hôpital de Pointe-à-Pitre. Ce voyage de trois heures sur mer le fatigua beaucoup. Il gardait toute sa connaissance. Le mardi il mit ordre à ses affaires. Tout le côté droit était maintenant paralysé. Mal­gré tout, on conservait l'espoir de le sauver. Le jeudi 8 sep­tembre, vers trois heures du matin, une nouvelle attaque se produisit. Une heure plus tard, le Père entrait en agonie, agonie très pénible qui dura jusqu'à midi. Entouré des Pères de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, le P. Ueberall rendit son âme à Dieu au moment où sonnait l'Angelus et en la fête de la Nativité de la Très Sainte Vierge.

Transporté le soir même à Basse-Terre, son cercueil fut exposé au presbytère et une foule considérable s'empressa de venir prier pour le « cher Père ». Son inhumation eut lieu le lendemain. Ce fut un vrai triomphe. Toute la population était présente. Les magasins avaient fermé leurs portes. Une quarantaine de prêtres, Pères et séculiers, assistaient à la cérémonie funèbre que présidait Mgr Boyer, en l'absence de Mgr Genoud. Avant l'absoute, Monseigneur monta en chaire et prononça un éloge funèbre qui émut profondément l'assistance.

Les restes mortels du cher P. Ueberall reposent au cime­tière de Basse-Terre, dans le caveau où de nombreux Pères dorment leur dernier sommeil. Les nombreuses messes offertes par les fidèles pour le repos de son âme témoignent de l'estime et de l'affection qu'il avait su gagner et aussi de la reconnaissance qu'il avait méritée.

Il laisse à tous le souvenir d'un vrai prêtre, d'un religieux fervent, d'an excellent confrère.

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