Le Père Louis VUACHET
profès des voeux perpétuels, du district de Donala, déeédé à Yaoundé, le 13 juin 1915, à l'âge de 51 ans et après 31 années de profession.

Louis-François Vuachet naquit à Cran-Gevrier, près d'Annecy, le 8 août 1903, et dès le lendemain fut porté sur les fonds baptismaux. De ces premières années, nous n'avons aucun détail sinon qu'il appartenait à une famille foncièrement chrétienne; on le voit par la date de son baptéine, et surtout par celle de son arrivée à Suse (20 novembre 1914): laisser partir à l'étranger un enfant de onze ans! ... Il est vrai que pour les Savoyards, le Piémont c'est encore la Patrie!... Il y resta, sans jamais revenir en vacances, jusqu'en 1920, et de là à Allex avec tous les petits cleres de Saint-Joseph qui rentraient d'exil. Il continua en France le cycle de ses études secondaires: pour l'intelligence, il était de ceux dont on ne dit rien, mais se faisait remarquer par son caractère difficile: «Déjà tout jeune, à la maison, m'écrit son frère, il avait des colères terribles»; «vertement tancé parfois, dit de son côté le supérieur d’Allex, le P. Benoit, il reconnait ses torts et travaille à s'en coriger». Le 16 septembre 1922, nous le trouvons à Orly: «après avoir sérieusement réfléchi durant cette année de noviciat, écrit-il au Supérieur Général, il se sent de plus en plus attiré par cet idéal entrevu.

Aussi, le 17 septembre 1923, êmet-il ses premiers vœux de religion et commence aussitôt sa philosophie à Mortain. Malgré ses manières un peu rudes, il est noté comme bon scolastique. A la caserne, au 13e B.C.A., tant à Chambéry qu'à Sousse, il a à lutter pour rester fidèle à sa vocation. Il le fait généreusement, dît de lui son aumônier, et le 20 mai 1926, il reprend à Mortain ses voeux et ses études. Puis c'est Chevilly et les saints ordres dont il gravit les échelons sans accroc, et aussi les voeux perpétuels qui l'engagent pour toujours. «J'ai hâte, écrit-il an T. R. Père, le 21 juin 1927, de me livrer totalement au Bon Dieu; il y a si longtemps que je lui marchande mes sacrîfices et mon amour»; et le 14 juin 1929: « voici enfin venue l'heure, attendue depuis ma plus tendre enfance, d'aller porter aux âmes abandonnées la bonne Nouvelle! ... Vous dire mes préférences, 'Monseigneur? Non, je préfère m'en remettre à la volonté de Dieu qui se manifestera par l'obédience que vous croirez bon de me donner.»

A sa grande joie, il fut désigné pour la mission, du Cameroun et s'embarqua en septembre 1929 pour Douala. Il fit ses premières armes dans la station de Ngovayang; mais dès le 15 janvier 1930, il est à Kribi, sur la côte, et seul à cause de la pénurie de personnel. De Ngova­Yang, le R P. Cadiou, administrateur apostolique du Sud-Cameroun, le conseille et le guide de son mieux, sans toujours réussir à se faire écouter. Emporté par son zèle et plein de santé, le jeune Père Vuachèt rayonne dans toute la région et jusqu'en pays boulou; n'étaient ses difficultés avec I'Administration, il serait demeuré à Kribi, aimé de ses catéchistes et de ses chrétiens, mais à cause de ses «palabres», force fut à Mgr Le Mailloux, vicaire apostolique de Douala, de le déplacer. En septembre 1934, nous le retrouvons à Nden, puis, après une année de brousse où il s'ennuie, il revînt en ville, à Sangmelima où il donna sa pleine mesure, surtout durant son second séjour dans cette station. Car en 1937, il est de retour en France, fait sa récollection à Chevilly et repart pour le Cameroun en janvier 1938.

Imitant en cela les Presbytériens américains, nos concurrents dans la région, le P. Vuachet réussit avec ses chrétiens construire en dur toutes ses cases-chapelles centrales: grâce à sa «Chevrolet», car ce coin était bien pourvu de routes. Il pouvait ainsi visiter souvent sa chrétienté qui augmentait régulièrenient, ce qui ne veut pas dire sans peine ni souci, dans ce pays boulou, fief du protestantisme. A la station principale, architecte et entrepreneur, il construisit son église en huit mois, puis ses écoles et son dispensaire. Il aimait la rapidité dans le travail, plutôt que le fini et la solidité, mais on ne peut avoir toutes les qualités!

Là encore, il eut des «palabres» avec un administrateur qu'il aimait à provoquer pour voir sa réaction, disait-il. Mais c'est surtout chez les commerçants qu'on le craignait, car il était habile... à «resquiller»: «Seigneur, donnez moi aujourd'hui ma petite affaire quotidienne! », C'était, au dire de l'un d'eux, sa prière préférée! Au demeurant, le P. Vuachet reste un missionnaire zélé, toujours par voies et par che­mins, en moto ou en auto, tant et si bien qu'il fît une grave maladie et dut rentrer en France en 1947.

Arrivé à Bordeaux, après 27 jours de voyage sur le «Jamaïque», il se rase complètement - mème sa mouche napoléonnienne ne trouva pas gràce! - Il était décidé à rester désormais en France et à travailler à la sanctification de son âme qu'il craignait de perdre dans toutes ses constructions africaines » me confiait-il alors » «Je viens de passer, écrivait-il le 16 jutin 1947 au T. R. Père, dix ans à Sangmélirna, où j'ai quasi achevé toutes les construclions définitives; mais je me sens fatigué et, la crise de paludisme et d'anéinie qni a failli me conduire à la tombe m'a indiqué que j'avais besoin de repos. » Après ce repos bien mérité et pris en famille dans ses montagnes de Savoie, suivant son idée, il demeure dans la Province et devient supérieur de Bletterans ; Mais le vieux broussard ne peut se résoudre à la vie sédentaire. Aussi accepte-t-il la charge ingrate et difficile de recruteur de vocations pour la Savoie et le Jura.

Son zèle - bien qu'un peu intempestif parfois pour trouver des enfants et remplir Bletterans et Allex lui vaut les félicitations du R. P. Provincial d'alors. Lui-mème écrit au T. R. Père, le 22 mars 1949:

«Je suis déjà depuis quelque temps en Haute-Savoie où je recrute des vocations. Jusqu’à ce jour, malgré les difficultés de l’hiver, j’ai pu prêcher 21 dimanches missionnaires et faire des conférences avec projections. Tout le clergé m’est favorable ! … J’ai repéré 53 enfants pour la rentrée prochaine. et je n’ai pas encore vu les meilleures paroisses de la montagne. »

Mais - on s’en doute, sinon lui – à l’évêché d'Annecy on n'est pas content du trop actif recruteur, et les plaintes des curés, et les observations au P. Vuachet, s’entrecroisent. .

Un peu déçu par ce nouveau genre d’apostolat, toujours attiré par l’Afrique,, le P. Vuachet rencontre, au début de 1953, Mgr Bonneau, vicaire apostolique Douala, qui a peu de peine à le décider à retourner au Cameroun. Il laisse à d’autres le soin d’alimenter Bletterans et Allex en vocations et s’embarque à Marseille, le 21 mars 1953 sur le « Foch » à destination de Douala.

Il est désigné pour Bengbis. La brousse le reprend et sa passion de bâtir. Il entreprend la maison des Sœurs ; mais Dieu devait bientôt l’arrêter dans ses travaux et dans ses courses apostoliques.

En juin dernier, la Maison-Mère recevait ce télégramme : « Père Vuachet décédé lundi Yaounde ». Bientôt une lettre du P. Berger qui avait assisté le cher malade à ses derniers moments nous parvenait apportant les détails que voici :

« C’est au cours d’une tournée de brousse dans le vaste secteur dépendant de la mission de Bengbis que le P. Vuachet fut brusquement saisi de fortes douleurs au ventre. C’était le vendredi 5 juin.

« Appelé par le P. Beaulieu, son vicaire, la doctoresse, Mme Franck vint le lundi, et, craignant une occlusion intestinale, demanda son transfert à Yaounde où on pourrait l’opérer. Le voyage de Bengbis à Yaoundé fut véritable calvaire pour le malade. De Bengbis à Sangmélima, il y a cent kilomètres de piste boueuse et cahoteuse en grande forêt; la voiture ambulance tomba en Panne en arrivant à Sanginmalima à la tombée de la nuit, le lundi. Une autre voiture partit avec le malade pour Yaoundé - soit 175 km. - belle roule bitumée; puis nouvelle panne à 15 km de Mbalmayo vers minuit. On attendit trois ou quatre heures, taudis qu’un noir bénévole allait chercher un taxi à Mbalmayo.

Enfin, mardi vers 6 h du matin, le P.Vuachet arrive-t-il l'hôpital de Yaoundé, où il put se reposer un peu. Vers 9 heures il demanda le P. Berger, de l'enseignement catholique de Yaoundé, et le pria d'entendre sa confession: «C'est sérieux, dit-il, il va être temps de se préparer a paraître devant le Bon Dieu » Le médecin puis le chirurgien en chef diagnostiquèrent une occlusion intestinale et se montrèrent assez réservés dans leur pronostic vu l'âge du malade.

«Dès 11 h. on le prépara à l'opération qui eut lieu vers 15, h. Non seulement il y avait occlusion, mais appendicite aiguë et perforation, d'où Péritonite très avancée. Le lendemain, le P. Vuachet était très faible, mais son tempérament de montagnard semblait prendre le dessus. «Le jeudi 9 juin, Mgr Bonneau, de passage à Yaoundé vint le voir, et le Père, tout joyeux, lui dit qu’il l'avait échappé belle. Les jours suivants, grâce aux soins dévoués des Sœurs de Niederbronn, le mieux s'accentua. Le Père était très gai et se croyait hors de danger; mais la Sœur restait inquiète: chaque jour, d'après les analyses, l’urée montait et la nuit du dimanche 12 juin fut très pénible pour le Patient.

«Le lundi 13 au matin, la crise d’urémie arrivait à lui degré d'évo­lution fatale. Le Père Vuachet, qui ne se rendait pas compte de son état et qui continuait à parler d’amélioration, accepta néanmoins avec empressement de recevoir l’Extrême Onction que lui administra le P. Berger. Il répondit à toutes les prières et après avoir remercié le Père et les Sœurs, il se recueillit profondément.

«Au début de l'après-inidi, les religieuses prévinrent par télégramme le P. Hurstel, que le malade baissait lentement. Etant venu aussitôt, le P. Hurstel commença les prières des agonisants. Les PP. Pichon et Berger arrivèrent il leur tour, ainsi que quelques religieuses de l'hôpital. Très doucement, sans souffrance apparente, le P. Vuachet s'éteignit, et son dernier souffle fut presque imperceptible. Il était presque 17 heures.

Une heure plus tard, la dépouille mortelle était transportée à la mission de Mvolye pour y être exposée. Les obsèques eurent lieu à Mvolye, le mardi 14 juin à 17 heures. Les PP. Kapps et Stintzi, de Sang­mIima, représentaient le Vicarial de Douala. Quelques amis du P. Vuache et beaucoup de chrétiens de Mvolye formaient un cortège recueilli. Les grands séminaristes assuraient les chants et portèrent le cercueil. Le P. Kapps, supérieur principal, présida les obsèques, et conduisit à sa dernière demeure le cher Père Vuachet, qui repose au cimetière de la mission, à quelques pas de la tombe de Mgr Vogt, à l'ombre des grands palmiers et dans la paix de cette colline sanctifiée par tant de missionnaires et de chrétiens.

Ainsi le P. Vuachet aura donné pleinement sa vie pour cette Afrique qu’il aimait et où il a travaillé, à sa façon certes, mais de tout son coeur.»
G. Le Faucheur

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