Le Frère Savinien WECKMANN,
décédé à Langonnet, le 17 novembre 1921,
à l’âge de 76 ans.


Laurent Weckmann naquit à Ergersheim, au diocèse de Strasbourg, le 20 juin 1845. Il reçut dans sa jeunesse une instruction élémentaire mais suffisante, et à l’âge de la conscription devint soldat. Il fut enrôlé dans les dragons et, la guerre de 1870 survenant, il prit part à la campagne ; à Gravelotte, son régiment chargea avec furie : il garda, en souvenir de cette journée, son manteau troué de balles, que dix ans plus tard, en entrant au noviciat, il montrait à Chevilly avec fierté. À Metz, il fut fait prisonnier, emmené en Allemagne, et il ne revint qu’au traité de Francfort.

Son père et sa mère étaient déjà morts ; aussi, à sa libération du service militaire, il prit place chez un cultivateur près duquel il devint vite habile dans la culture. Puis, comme il hésitait à s’établir dans le monde, il demanda conseil à sa sœur, supérieure, à Ivry, de la communauté des Sœurs de Niederbronn.

Mis par là en relations avec la congrégation, il sollicita son admission au noviciat des frères : il y entra le 13 février 1880, à trente-cinq ans. Ancien cavalier dans l’armée, on lui confia le soin de l’écurie : on ne pouvait mieux faire et il s’acquitta de sa charge à la satisfaction de ses supérieurs.

Son goût pour le travail des champs était grandement apprécié et l’on trouvait en outre que, à la cuisine, il s’en tirait à son honneur. Il fut admis à la profession le 19 mars 1882, sous le nom de F. Savinien, malgré une certaine vivacité de caractère et certain esprit de critique qui sentaient l’ancien soldat et choquaient quelques-uns de ses confrères.

Aussitôt sa profession, il fut envoyé en Afrique, sous la juridiction du P. Carrie, préfet apostolique du Congo. Il quitta la France le 5 mai 1882 et fut destiné à la résidence de Saint-Antoine de Sogno si curieuse par les souvenirs qu’elle gardait de ses anciens missionnaires capucins, si difficile par les embarras sans cesse renaissants que causaient les indigènes.

La résidence en était à ses débuts : le P. Augouard y était fixé depuis le mois d’octobre 1881 et, bien vite, il se rendit compte des qualités du F. Savinien. Le 7 août 1883, il le prit avec lui pour fonder la mission de Linzolo et le frère fut ensuite son compagnon à Kwamouth, en 1886, à Brazzaville en 1887, à Saint-Louis de l’Oubangui en 1891. On connaît l’activité du P. Augouard, qui voulait des installations presque aussitôt réalisées que conçues ; on devine de quelle pénurie de moyens on peut souffrir dans des pays où rien n’est encore établi, on concluera par suite quel courage et quelle endurance il fallut au F. Savinien pour exécuter les premiers travaux dans ces postes : défrichement, constructions d’abris provisoires, ravitaillement en vivres, surveillance des ouvriers, des enfants ; plantation des jardins, édification de bâtiments plus solides…

Le F. Savinien connut dans cette période de sa vie des heures douloureuses et sans profit apparent pour la tâche commune. En 1893, il fit une chute à Saint-Louis de l’Oubangui : il se brisa la jambe et dut revenir à la côte dans des conditions fort pénibles qu’il racontait ensuite d’un ton de belle humeur : « J’ai quitté Saint-Louis de l’Oubangui le 2 mars 1893, avec Mgr Augouard et le P. Rémy sur le Léon XIII. Trouvant la planche trop rude, j’ai volé une couverture de Monseigneur et je me trouvais bien heureux sur une couverture d’évêque. »

Jusqu’à Brazzaville, le voyage fut bon ; mais de Brazzaville à Loango, pendant dix-huit jours en hamac, le Frère éprouva toutes les misères. Pendant treize jours, la pluie ne cessa de tomber, il fallut traverser des rivières, passer par les montagnes avec des porteurs qui se disputaient à qui ne ferait pas son office ; le malade ne pouvait pas se nourrir ; à tout instant, il était pris de vomissements. Il arriva pourtant à Loango et s’embarqua pour la France.

Le F. Savinien ne devait plus retourner en Afrique. On lui trouva à Saint-Lucien, sorte de maison de campagne du collège de Beauvais, le poste de retraite qui lui convenait. Pendant plusieurs années, il s’y rendit utile à la cuisine et au jardin.

En 1903, il prit sa retraite définitive à Langonnet. Modèle pour tous par sa résignation et sa patience dans ses souffrances, il se disait content de sa position et de son incapacité, puisque le bon Dieu le voulait ainsi. Appuyé sur ses béquilles, traînant péniblement des jambes alourdies par les rhumatismes et des plaies de tout genre, on le trouvait encore dans les escaliers quand il allait lui-même (il y tenait) chercher son lait à la cuisine. Dans sa chambre, il s’occupait de travaux de couture ; il confectionnait ses chemises et préparait le linge qui lui servait à se panser.

Quand les douleurs furent devenues plus vives, et les yeux trop mauvais, il descendit à l’infirmerie. Le mardi 15 novembre 1921, il fut sans doute frappé d’une congestion cérébrale, car sa parole devint plus pénible et ses idées se brouillaient. Le 17 novembre au matin, le P. Simon lui donna l’extrême-onction après quoi le malade perdit connaissance et s’éteignit sans qu’on s’en aperçût presque, au moment où le père s’installait près du lit pour le veiller. -
BG, t. 30, p. 521.

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