LE P. ANTOINE WENGER 

DE LA MISSION D'HAÏTI

à Chevilly le 9 mai 1908
Not. Biog. III p.309-320

 

Vocation ‑ Premières études ‑ Formation religieuse

            C'est à l'abbé Geyer, curé de Bergheim vers le milieu du  siècle dernier, habile et dévoué capitaine de recrutement de l'armée sacerdotale, que notre confrère fut redevable de sa double vocation sacerdotale et religieuse. Né le 3 janvier 1844, à  Bergheim, où ses parents, foncièrement chrétiens, exerçaient la profession de vignerons, Antoine Wenger avait passé les pre­mières années de l’enfance sans se faire aucunement remarquer parmi les enfants de son âge. Mais la grande piété et la bonne conduite de l’adolescent impressionnèrent favorablement le prêtre qui l’avait admis à la première communion. Après avoir sondé les dispositions d'Antoine, en effet, l'abbé Geyer le confia pendant quelques mois à l'un de ses vicaires, pour lui faire apprendre les premiers éléments du latin, voire même du grec, et l'envoya ensuite passer l'année scolaire 1859‑1860, en sixième au collège de St‑Hippolyte. Les succès de l'écolier ne présentèrent rien de merveilleux : il avait simplement les moyens intellectuels suffisants. Comme il manifestait du goût pour la vie religieuse et pour les missions en pays infidèles, son protecteur l'abbé Geyer le fit accepter, en qualité de pos­tulant, au Petit Scolasticat de Cellule.

 Antoine Wenger, entré dans cette maison le 10 octobre 1860, s'y trouva tout de suite comme dans son élément. On menait là le genre de vie qu'il avait rêvé : tous les moyens de dévelop­per la piété, de servir avec perfection le divin ‑Maître lui étaient offerts ; il les employa avec empressement. Sept mois après son arrivée on l'admettait au rang des scolastiques titulaires, le 9 mai 1861. Il se trouvait alors en cinquième seulement, mais, vu ses 17 ans, son esprit sérieux et le zèle qu'il déployait pour l'acquisition des vertus exigées des membres de la Congrégation, les supérieurs ne voulurent, pas lui faire attendre la consolation de porter l'habit de l'Institut. Cette faveur fut bientôt suivie d'une autre, celle de faire les voeux privés de religion, d'abord pour un an, puis, en 1864, pour tout le temps qui le séparait encore de sa profession; il compléta sa donation à Dieu par le voeu de stabilité dans la Congrégation.

Devenu de la sorte vrai religieux, il voulut en outre s'appliquer sérieusement à la réforme des défectuosités de son caractère. Il était doué d'un bon naturel, affectueux, mais, par contre, d'un tempérament fort impressionnable et un peu soupçonneux, ce qui, avec une dose assez forte de susceptibilité et certaine tendance au découragement en face des contrariétés, devait être pour lui l'occasion de bien des mérites, dans la vie de communauté. Aussi, pour ne pas rendre la vie pénible à ses confrères, s'efforça‑t‑il de dominer les émotions intempestives et les réclamations mal fondées de sa sensibilité. Sans avoir obtenu sur ce point un succès définitif, du moins parvint‑il à trouver son bonheur personnel dans la vie de communauté, tout en facilitant à ses confrères le moyen de jouir, eux aussi, du petit bonheur terrestre à leur portée.

 

Occupé aux labeurs des études. au perfectionnement moral de ses qualités natives, le temps avait conduit Antoine Wenger au seuil des études ecclésiastiques. Sa formation littéraire achevée, au mois de septembre  1865 il entra au grand scolasticat et y passa les quatre années réglementaires, sans autre particularité qu'une maladie assez sérieuse, qui lui prit les vacances d'une année. Par ailleurs, il put jouir régulièrement des joies apportées par la réception des saints Ordres, durant le cours de ses études  théologiques.

Le mois de novembre 1869 lui amena la grande fête de la prêtrise. il était alors au noviciat, achevant sa préparation à l'apostolat.

Profession . ‑ Séjour en Alsace

 

Le 28 août 1870, le P. Wenger faisait sa profession à Chevilly. L'année terrible déroulait en ce moment la lugubre série des défaites de la France. Une partie de l'Alsace était déjà envahie par les troupes allemandes. Le P. Wenger arriva pourtant sans difficulté dans sa famille, qu'il n'avait pas vue depuis Les joies de cette cette halte au pays natal,  où il son père, vénérable septuagénaire, et sa mère guère moins âgée furent bien assombries par les malheurs de la patrie... Le séjour du Père en Alsace devait avoir la plus courte durée possible, mais les événements politiques le prolongèrent pendant cinq mois. Ce contre‑temps permit au jeune profès de commencer l'exercice du saint ministère sous les yeux et avec les conseils de l'abbé Geyer, auquel il devait déjà tant de reconnaissance. Le digne curé voulut que son missionnaire logeât au presbytère et non chez ses parents, malgré l'honorabilité parfaite de la famille Wenger. ‑ Cette exigence servit au mieux les intérêts du religieux, en lui procurant la facilité de faire ses exercices spirituels à peu près aussi bien que dans une communauté, de composer tout à son aise quelques sermons, et même d'aborder l'étude de l'anglais.

 

Parti de Bergheim le 6 février 1871, le P. Wenger mit une dizaine de jours pour atteindre Quimperlé et la communauté de Langonnet. Quelques jours après, il prenait enfin possession du poste à lui assigné depuis le 15 décembre 1870 : il entrait en fonctions comme économe dans la maison de St‑Ilan.

 

C'était une situation difficile qu'il avait devant lui, car l'oeuvre principale de la maison était alors en pleine crise. Le P. Wenger se mit donc sérieusement à l'oeuvre, mais le succès fut d'abord loin de répondre à ses efforts.

 

La première année, il en devint quasi‑malade et, naturellement, la sérénité intérieure et extérieure s'en ressentit : il put à lutter contre le dégoût pour sa charge le découragement l'assaillait. Mais, profitant des conseils et de l'aide de son supérieur, homme aussi habile qu'énergique, il retrouva vite assez de calme pour tenir tête aux difficultés. « Allons, cher Père, lui avait dit un jour son conseiller, vous savez que ce sont les oeuvres qui coûtent le plus de peine, que nous devons chérir le plus. » Cette exhortation brève avait eu un effet, sinon magique, du moins assez tranquillisant sur l'économe angoissé.

 

Le P. Wenger eut à cette époque un autre sujet de peines très vives. La guerre de 1870 avait causé de grandes pertes à sa famille. Son frère., resté dans le monde, ne savait, malgré un travail acharné, comment subvenir aux besoins des vieux parents. Le pauvre religieux, après avoir tenté les démarches en son pouvoir, se trouva contraint de demeurer, de longs mois, spectateur impuissant devant cette infortune.. Quel déchire‑ ment pour son coeur 1

 

Les épreuves s'accumulaient ainsi pour tremper plus fortement l'âme du P. Wenger. Une consolation bien douce vint cependant tempérer l'amertume de ses peines : le 24 août 1873, il émit ses voeux perpétuels, à la Maison‑Mère. Rentré ensuite à St‑Ilan, il déploya une nouvelle ardeur dans la formation morale des pauvres enfants confiés à l'oeuvre, tout en gardant les tracas de la charge d'économe. En 1874, le Père dut, par surcroît, remplir les fonctions de supérieur intérimaire.

 

Missionnaire au Zanguebar

 

En avril 1875, le Supérieur général, tenant compte des désirs du P. Wenger, dont la santé raffermie semblait capable de supporter le travail sous le ciel d'Afrique, l'envoyait dans la Mission du Zanguebar. Enfin, les aspirations du missionnaire reçoivent satisfaction complète : on lui donne des Noirs à évangéliser ! Embarqué le 24 mai 1875, à Marseille, il arrive tout heureux, le 29 juin suivant, à Zanzibar, ce nouveau champ de son apostolat. Le titre d'économe lui est octroyé, comme en France ; mais il peut faire du ministère tant que le coeur lui en dira, surtout auprès des enfants employés dans les ateliers de Zanzibar, le P. Horner le chargeant spécialement de leur instruction religieuse. Le P. Wenger constate vite que sa charge n'est pas une sinécure : des constructions à élever l'obligent à passer des journées entières parmi les ouvriers, dans une atmosphère de feu, ce qui lui procure bientôt sa part de petites fièvres. Cependant, le Père supporte assez bien les rigueurs du climat. Vers la fin de 1876, il cumule les fonctions de supérieur et d'économe.

 

En août 1877, le P. Horner avait décidé, au retour d'un voyage dans l'intérieur du Zanguebar, l'établissement d'une station à Mhonda. Dès le mois suivant, il envoyait le P. Wenger, avec le F. Oscar, prendre possession du nouveau poste, afin de devancer les Méthodistes de Mombasa qui se préparaient à s'établir dans les mêmes parages. Parti de Zanzibar le 30 septembre, le Père ne voit que 6 porteurs à Sadani, où il devait en trouver 40. Il entreprend quand même le voyage avec ses six hommes, après avoir dépêché le F. Oscar à Bagamoyo, pour y organiser une caravane. Mais, deux. de ses hommes ayant pris la fuite, le Père est obligé de revenir à Sadani, après deux journées de marche. Le nombre voulu de porteurs ayant été enfin amené par le F. Oscar, le voyage s'effectue du 26 octobre au 5 novembre. Dès le 6 novembre, les missionnaires se mettent à la construction d'une demeure provisoire. En 20jours l'édifice s'élève, simple case en torchis couverte en paille. Voilà le P. Wenger établi en son « palais africain » ! Malheureusement, l'influence débilitante du climat de la côte; les miasmes emmagasinés en traversant la forêt ; les tracas du voyage ; les labeurs de l'installation ; la demeure dans un bâtiment élevé à la hâte, forcément humide et peu sain : tout cela avait épuisé les forces du P. Wenger, qui se vit bientôt gravement atteint de Fièvres bilieuses. Dès qu'il fut transportable, on le ramena à l'hôpital de Zanzibar, en février 1878. Au mois de juin suivant, le premier fondateur de la station de Mhonda revenait chercher en France le rétablissement d'une santé bien affaiblie.

 

A Sierra Leone et au Sénégal

 

Le missionnaire convalescent, nommé sous‑directeur du Noviciat central des Frères,, passe deux ans dans un demi repos, à Chevilly. Bien remis, il s'embarque ensuite à Bordeaux, le 20 octobre 1880, pour la Mission de Sierra Leone. Arrivé à Freetown, le P. Wenger brûle de travailler au salut des Noirs de ce pays. ‑ Mais ces pauvres gens parlent anglais? ‑ Qu'à cela ne tienne! A 36 ans, voilà notre homme plongé dans l'étude de la langue anglaise, qu'il avait un peu commencée, 10 ans auparavant... Le Père n'y va pas mollement, car au bout de trois mois, il peut monter en chaire et se faire comprendre suffisamment par ses néophytes. Il multiplie alors prédications et catéchismes, afin de préparer de nombreux adultes protestants au baptême. Au cours de l'année 1881, 60 personnes sont arrachées à l'erreur ; pour sa part, il en avait baptisé 26, le Samedi saint.

 

Depuis 16 mois, le P. Wenger déployait tout son zèle à Freetown, quand un ordre des Supérieurs l'envoya, eu avril 1882, à la Communauté de St‑Louis, dans la Mission du Sénégal. Il arrivait fort à propos, pour recevoir en héritage du P. Renault, l'aumônerie de l'hôpital. de la ville et le soin d'un ouvroir dans la banlieue. Des Krowmen protestants, originaires de Sierra Leone, se trouvant en assez grand nombre dans la ville, lui constituaient une besogne supplémentaire, car, connaissant leur langue, il se promettait bien d'en convertir au moins quelques‑uns.

 

Ainsi amplement pourvu de travail, le P. Wenger se dépen­sait de tout son coeur dans ses fonctions diverses. Vers la fin de décembre 1882, on l'appelle à un autre ministère. Une cam­pagne de six semaines va commencer dans le Cayor. Il faut assurer aux 1.000 soldats qui entreprennent l'expédition les secours religieux. Est‑ce le titre d'aumônier de l'hôpital? Est‑ce la grande taille, la prestance majestueuse, la large figure expressive, la barbe de sapeur que possède le P. Wenger, qui détermine le choix ? Toujours est‑il que le voilà, aumônier de la colonne expéditionnaire. Sa présence profite surtout à 4 pau­vres troupiers, qui meurent dûment administrés, au milieu de la campagne 2 autres succomberont encore, également préparés par lui, après le retour à St‑Louis. ‑ Sur la fin de l'expédition, le gouverneur du Sénégal, portant à la connais­sance des soldats la mort du baron Grivel, commandant du vaisseau amiral La Pallas, avait demandé un service solennel devant les troupes pour le regretté défunt. Comment répondre à cette demande ?,L'aumônier ne pouvait ' faute de temps, se procurer les objets nécessaires à la célébration de la messe.

Forcément, on devait se contenter d'une absoute. Mais, le moyen de donner de la solennité à cette cérémonie en pareil endroit? Le catafalque, on l'improvisera facilement, oui; mais comment l'orner? Où est le drap mortuaire? Par bonheur, missionnaires et troupiers sont ingénieux. Le P. Wenger donne une de ses soutanes, à laquelle des soldats ajustent artistement leurs capotes ; ‑ assemblage heureux de l'habit du prêtre et de

la livrée du guerrier, pour rendre les derniers honneurs à un brave marin et à un vaillant chrétien. ‑ Sur ce drap mortuaire nouveau genre, certaine bande de mousseline fournie par un capitaine, figure une croix blanche. Voilà donc le catafalque bellement orné. On l'entoure d'une cinquantaine de bougies. Un marin apporte la croix de bois qu'il vient de façonner. Le Père y attache son crucifix de missionnaire avec un crêpe. Deux marins vont remplir l'office de chantres. Tout est prêt. La colonne se range en armes. Le chant du Libera retentit alors, ponctué à neuf reprises par la grande voix du canon ... Qui ne proclamerait solennelle cette cérémonie ainsi organisée?

Parti de St‑Louis, le 24 décembre 1882‑, le P. Wenger y rentrait le 1er février 1883, ayant supporté gaillardement les 400 kilomètres de cette promenade, dont un certain nombre parcourus à marches forcées.

 

L'aumônier militaire improvisé se déclarait ravi des relations faciles et cordiales qu'il venait d'entretenir avec les soldats comme avec les officiers, tous pleins d'égards pour lui durant. cette première campagne au Cayor. Officiers et soldats gardaient de leur côté très bonne opinion de leur aumônier. Aussi, une seconde campagne dans le Cayor étant décidée, le commandant Dodds, chef de la nouvelle expédition, obtint par ses instances que le P. Wenger accompagnerait les troupes cette fois encore.

 

Il suivit donc les marches et contremarches de la colonne volante, bien plus rapide dans ses mouvements que la première car du 25 mars au 1er  mai 1883, elle parcourut environ 1.200 kilomètres.

 

Au retour à St‑Louis, le Père termina ‑ sans blessure, mais non sans séjour à l'hôpital, ‑ sa « carrière militaire » et reprit ses paisibles fonctions de consolateur des pauvres malades et d'éducateur des orphelines.

 

En 1885, le P. Wenger vit changer quelque peu son genre de travail. Nommé curé de Rufisque, il commençait le ministère paroissial proprement dit, au milieu d'un bon petit noyau de chrétiens, entouré malheureusement de mahométans bien difficiles à convertir. Le Père s'employa de son mieux à maintenir la ferveur parmi ses fidèles et à augmenter leur nombre de quelques unités. Voilà le système des zélés pêcheurs d'âmes : là où ils n'ont aucune chance de ramasser les âmes à grands coups de filet, ils les poursuivent... à la ligne !

 

En Haïti ‑ Vicaire à Pétionville

 

A la fin de 1886, l'obéissance envoyait le missionnaire sous d'autres cieux. Après un court séjour en France, le P. Wenger arrivait à Port‑au‑Prince, au mois de janvier 1887. Nommé immédiatement vicaire à Pétionville, paroisse rurale d'une immense étendue, dans les mornes haïtiens, le Père entreprend, avec l'ardeur d'un débutant, le travail apostolique sur ce territoire qu'il arrosera de ses sueurs pendant 17 ans.

 

A cause de l'éparpillement de la population, impossible de se borner à prendre sa part du service dans l'église du bourg ; il doit encore parcourir de longues distances à cheval, afin de visiter le plus souvent possible les différents quartiers qui possèdent des chapelles. Après avoir chevauché plusieurs heures durant, par des sentiers affreux, le missionnaire arrive à l'une de ces chapelles de campagne. Aussitôt sa présence connue, les braves paroissiens arrivent, qui pour se faire instruire qui pour recevoir les sacrements, qui pour présenter un enfant au baptême. Le Père passe donc là plusieurs jours en une petite case, afin de donner aux pauvres gens le moyen et le temps de pratiquer la religion. Il n'a plus affaire à des mahométans fanatiques, comme au Sénégal; mais ses nouveaux paroissiens ne valent guère mieux, car il constate que, sur 1011 enfants baptisés au cours d'une année dans la paroisse, 165 seulement sont légitimes. Que d'exhortations, de réprimandes, d'instructions catéchistiques à répéter patiemment, inlassablement, pour arracher les malheureux Noirs de ces montagnes à l'ivrognerie, au concubinage et à des superstitions abominables, pour les instruire des vérités essentielles, pour les amener à remplir leurs devoirs de chrétiens! ... Ces pauvres gens méritent cependant, malgré leur ignorance et leurs vices, l'intérêt du missionnaire. La faiblesse lamentable, à laquelle ils cèdent trop souvent en vivant dans le péché, n'est pas sans quelque excuse : ils ont un certain désir de se mettre en règle, de faire le bien; mais, passant leur vie dans des cases isolées au milieu des champs, ils voient trop rarement le prêtre; si l'on pouvait leur assurer constamment les secours religieux, nombre d'entre eux vivraient en vrais chrétiens. Après cette constatation, le missionnaire qui ne peut, à son grand regret, rester à demeure dans ces coins perdus des montagnes, s'attache vite à ces âmes, en soin me bien disposées, et déploie toutes les ressources de son zèle pour les affermir dans leurs bonnes résolutions, durant les journées des visites aux chapelles rurales. Ainsi, le P. Wenger aimait avec une sorte de passion ses montagnards et n'épargnait pas sa peine pour les évangéliser. Dans ce but, il enfilait bravement ces terribles kilomètres de montagne, kilomètres de même longueur que les autres ' mais comptant double pour la fatigue à celui qui les parcourt. Les courses nécessitées par la visite des malades dans des endroits presque inaccessibles harassaient le Père... n'importe, il allait toujours. Et, quel régime il lui fallait suivre dans ces expéditions apostoliques! Durant ses stations auprès des chapelles, son ordinaire n'aurait point déparé la table des anachorètes.

 

Dans de pareilles conditions, les forces humaines. doivent nécessairement diminuer assez vite. En mars 1899, une grave maladie immobilise le P. Wenger pendant plusieurs mois. L'année suivante, il vient demander à la France de lui rendre de la vigueur, dans l'intention de la dépenser encore au profit de ses Haïtiens. Il n'obtient pas la guérison parfaite, que de nombreuses années de séjour sous des climats meurtriers et un âge déjà assez avancé, rendaient moralement impossible ; mais une amélioration notable survenue dans sa santé lui permet de regagner les montagnes de Pétionville. Avec ce regain de forces, le Père reprend son train de vie apostolique et le soutient aussi bien qu'il peut, pendant près de quatre ans, malgré les réclamations de plus en plus pressantes de son corps exténué.

 

Dernières années

 

En octobre 1904, le P. Wenger, s’installait à l'abbaye de Langonnet, pour y prendre le repos nécessaire, si bien gagné. Il se trouva là au milieu de confrères (plusieurs venus d'Haïti), épuisés comme lui parles labeurs apostoliques. Avec une charmante simplicité et une bonhomie souriante, il leur permettait volontiers de le traiter de « Melchisédech », de « Père Abraham », voire de « Père Éternel », à raison de sa grande barbe blanche !... ‑ Cet ornement ne lui attira pas que les innocentes plaisanteries de ses confrères. Certain dimanche de Fête‑Dieu, le curé ­doyen du Faouët ayant demandé un Père pour remplir les fonctions de diacre, on lui envoya le P. Wenger. Dès que le digne Recteur l'aperçut : «Ah ! mais non! s'écria‑t‑il, vous ne pouvez pas me faire diacre avec cette barbe : vous chanterez la messe et vous porterez le Saint‑Sacrement à ma place. »

 

Dans le calme profond de la maison de retraite, le missionnaire reprenait peu à peu des forces. Bien lente à son gré, la convalescence paraissait pourtant s'accentuer. Au bout 'de trois ans, le P. Wenger croit pouvoir reprendre l'exercice du saint ministère, non plus outre mer, mais en France même. En février 1908, on lui, confie :la paroisse d'Orly, au diocèse de Paris un vrai pays de mission, du reste, puisqu'en fait de religion les paroissiens civilisés qu'on lui donne sont à peu près aussi ignorants, tout le moins aussi insouciants que les Noirs de l'Afrique. Le Père,  en prenant possession de la cure, se demande comment il parviendra à exercer une influence salutaire sur son troupeau. Quelle industrie apostolique aurait chance d'agir sur ces indifférents? Hélas! il ne demeura point longtemps en butte à semblable préoccupation. Quelques jours après son entrée en fonctions, le voilà pris de vomissements incoercibles; il ne peut garder aucun aliment et par suite s'affaiblit rapidement... il lui faut renoncer aux saintes fatigues de l'apostolat.

 

Préparatifs suprêmes. ‑ Le départ pour l'Éternité

 

Cette fois, c'était bien l'avertissement envoyé par le Maître au bon ouvrier de sa vigne, prévenant que la fin de la journée de travail approchait. Le P. Wenger, très souffrant, fut installé, le 31 mars 1908, à l'infirmerie de Chevilly. Vers le milieu du mois suivant, les médecins de l'hôpital St‑Joseph de Paris déclarèrent le malade atteint d'un cancer inopérable. ‑ Se trouvant encore à l'hôpital, le Jeudi saint, le Père tint, malgré les observations de la soeur qui le soignait, à se lever et à descendre à, la chapelle, dans le but d'y faire ses pâques pendant la messe : « Notre‑Seigneur, dit‑il, a assez souffert pour nous ; il est bien juste que nous souffrions un peu pour lui. » Il avoua ensuite qu'il lui avait fallu un courage surhumain pour supporter la ‑fatigue. ‑ Revenu à Chevilly, le soir même, le Père passa péniblement la fin de la Semaine sainte. Au prix des plus grandes fatigues, il célébra la sainte messe, le dimanche et le mercredi de Pâques. Prévenu alors de la nature de son mal, il dit s'en remettre à la volonté de Dieu, n'ayant qu'un seul désir, celui de bien mourir.

 

Le 28 avril, le P. Wenger reçut avec beaucoup de piété l'extrême‑onction. Dans les derniers jours de sa vie, il se confessa quotidiennement et, chose extraordinaire, quoiqu'il pût rien prendre au long de la journée, pas même une goutte d'eau, il fit cependant sans difficulté la sainte communion, chaque matin. Muni de la bénédiction du Souverain Pontife l'agonisant baisait la croix constamment, attendant sans murmure, sans plainte, que le dernier spasme de la souffrance lui ouvrît les portes de l'éternité. Le samedi 9 mai 1908, veille du Patronage de saint Joseph, il expirait doucement, les bras en croix. Que Jésus, Marie et Joseph ont dû bien recevoir celui qui, après les avoir servis de tout coeur pendant de nombreuses années, a tant de fois prononcé leurs noms bénis à ses derniers instants !

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Durant sa vie, le P. Wenger écartait toujours, avec une sorte d'effroi, les remarques louangeuses formulées sur sa conduite. Maintenant, sa modestie ne pouvant plus en souffrir, une appréciation ‑ brève en la teneur, immense en la portée ‑ sur son départ pour la patrie céleste. L'un des témoins de cette fin si pieuse, le R. P. du Plessis, nous la fournit : « Ayant assisté, a‑t‑il dit, dans des communautés religieuses, bien des personnes qui y sont mortes en odeur de sainteté, je puis attester que je n'ai jamais vu une plus belle mort que celle du P. Wenger. »

L. Dedianne

 

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